mercredi 23 décembre 2020

Eclairage illichien sur la crise du Covid


Vous trouverez sur ce lien, un texte de David Cayley sur la crise du covid. Le texte date d'Avril 2020, lorsque le Canada lui aussi se mit en confinement. 



David Cayley, est un intellectuel canadien, plus particulièrement connu pour son livre d'entretien avec Ivan Illich, Corruption of Christianity. 

Ce texte pourrait justement être appelé "que penserait Ivan Illich du confinement et de la gestion du Covid ?" Je le trouve très juste et permets de réfléchir d'une autre manière.

Résumons alors ! (vous trouverez aussi un résumé plus large plus bas…)


Cayley commence par préciser la pensée d'Illich sur la santé en deux points.

Comment la santé est devenue une institution contre-productive et comment notre corps est entré dans l'âge des systèmes, l'être unique et sacré se confond désormais avec des taux de flux divers et processus décisionnel loin de toute loi naturelle

Notre réaction face à la crise correspond à tout ce qu'Illich avait prévue de pire. L'obsession du taux de mortalité est l'envers d'un décor d'une vie prise comme abstraction.

"Alors il faut laisser mourir tout le monde ?" se demande l'auteur. Non, il faut d'abord voir le monde d'être sans corps qui traversent ces mondes hypothétiques. Nous vivons dans une abstraction, la méfiance, l'idéalisation de la science (nous agissons seulement en fonction de ce qui peut être déguisé par la science), sentimentalité chaotique inopposable cachant un contrôle social envahissant.

La crise nous tient en otage, nous ne pouvons plus parler, la vie comme simple ressource est idolâtrée.

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Idolatrie de la vie ?

C'est bien sur le titre du tract d'olivier Rey, grand admirateur de la pensée d'Illich. 

Prenons en exemple cette vidéo où Olivier Rey précise son travail sur le sujet. 

Rey développe trois points. Voir plus bas pour un résumé plus épais. 

Notre paralysie actuelle vient des moyens dont nous disposons ainsi que de la lâcheté des générations occidentales occultant la mort et qui s'interdisent alors d'exposer leur vie.

Ensuite, il développe un point ardu. Quelle est l'origine ce ce confinement pour des sociétés pourtant adoratrice de leur activité, de leur économie et de leur confort ? Pour Rey, au contraire la société d'individus se croyant sous contrat que nous formons retrouve leur fondation qu' Hobbes avait discerné, Nous ne tenons que par la garantie de la protection de la mort violente que le Léviathan, le souverain symbolique du tout de la société  promet. Son devoir de protection s'est étendu, le confinement vient de cette histoire.

Enfin, Rey voit dans cette crise un point qui lui tient à cœur, l'homme moderne est un parasite du passé. "Sauvez des vies" ? Cette interjection nait d'un malentendu. Le sentiment du salut de la vie vient d'un héritage ancien et chrétien, la vie qui est sauvé et celle d'une vision limitée propre à la modernité (mais pourquoi la sauver si nous étions vraiment cohérent ???). Nous en arrivons à sauvez des statistiques dans un monde qui n'est plus prêt à rien risquer. Redevenons des personnes remplis de gratitude pour le passé. Redevenons des mortels convaincus que des choses sont plus grandes que leur vie et que celle ci puisse être risquée pour ce qui les transcende. 


voilà, c'est tout pour ce retour, mais cette perspective illichienne est à écouter et à discuter. Le mal est profond.


mardi 7 août 2018

Quelle suite à "Achever Clausewitz" ? Penser à l'avenir de l'Europe avec René Girard et les papes.


Ci dessous, un petit texte écrit en 2016 (déjà, il lui manque des mises à jours). Il présente une réflexion personnelle sur le livre Achevez Clausewitz et une manière de concevoir l'Europe actuellement. Comment la penser aujourd'hui. Quel espoir pour celle-ci ? Il y aurait beaucoup de choses à dire encore…. Mais on fait ce que l'on peut...
Cette note peut être liée à celle-ci et celle-là aussi...
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Quelle suite pour "Achever Clausewitz" ?


Intro :

Une image et une impression me poursuivent. Je participais à la veillée puis à la messe du pape Benoit XVI sur l'esplanade des invalides en Septembre 2008, le lendemain de son arrivée où il eut le temps aussi d'inaugurer le centre des bernardins. Je voyais une foule immense avec le pape célébrer l'Eucharistie au centre de Paris. Quelques mois avant, je venais de lire le dernier livre de René Girard, "Achever Clausewitz". J'avais alors l'impression de vivre la suite du livre. Ce livre n'était il pas fait pour cette foule et pour moi ? Moi aussi, dont l'histoire familiale avait été construite par la haine franco-allemande et qui me demandait quelle était l'étape et le rôle de ma génération. Ce livre enfin poursuivait ma passion pour le travail de cet auteur, travaillait mon identité catholique en incarnant ses thèses dans l'histoire proche et faisait réfléchir sur l'Apocalypse, qui ne serait rien d'autre que "l'incarnation du Christianisme dans l'histoire.(P335)" Bref, ce livre était une initiation et une ouverture aux questions politiques modernes, aux signes des temps et à une unité personnelle.

Nous sommes presque dix ans après l'édition du livre. Les années 2007 et 2008 furent pour des gens de ma génération une date charnière dans la perception d'une crise européenne, d'une crise de sens global et en particulier d'une crise du sens des institutions européennes. J'aimerais profiter de ce texte pour relire mon intuition girardienne lors de ce voyage papal à Paris, voir en quoi l'élection du pape François continue l'histoire que René Girard me révélait entre la papauté et l'Europe. Ces questionnements conduiront vers des interrogations plus larges qui mériteraient de bien plus vastes investigations.

I Rappel sur "Achever Clausewitz"

A La montée aux extrêmes dans l'histoire.

Auparavant, il me semble bon de résumer très brièvement "Achever Clausewitz" et ce qu'il semble apporter à la question politique et historique.

Achevez Clausewitz arrive fin 2007, il arrive avec surprise, 46ans après le premier des livres de René Girard attaché à la découverte de la théorie mimétique dans les œuvres littéraires. Théorie mimétique qui va ensuite l'aider, par l'étude des tragédies, des mythes et de l'anthropologie, à découvrir la racine religieuse des sociétés humaines par la victime émissaire, du lien entre sacré et violence. Cette anthropologie s'intéressera ensuite au Christianisme comme science humaine globale. Le Christianisme par sa révélation révèle et sape les bases du sacré violent mais ne permet plus aux institutions humaines de légitimer leur statut. Que deviennent les sociétés humaines quand est corrompu ce qui pouvait les aider à tenir ? "Achever Clausewitz" intervient dans ce contexte. Il souhaite aller au devant de la question apocalyptique chrétienne.

 Selon Girard, Clausewitz est le prophète joyeux et tourmenté de notre époque de violence non limitée par les traditions et les règles rituelles. Clausewitz est un militaire et un théoricien de la guerre, mais ses questions le conduisent plus loin. Il fait face à la bascule de la révolution française et de Napoléon, la fin de la guerre en dentelles aristocratiques et des anciennes traditions. La guerre était réservée à l'aristocratie qui en prenait les risques et permettaient de contenir la violence de la guerre dans des limites liturgiques et rituelles très claires.

Dans son livre, "de la guerre", Girard y analyse la « montée aux extrêmes » qui est la voie naturelle du désir mimétique des communautés humaines et des hommes et de la violence si celle ci n’est plus ritualisée par les traditions et limitée par la religion. Le livre de Clausewitz permet d'adapter la théorie mimétique de l'intersubjectivité aux groupements humains.

1806, c'est la victoire de Iéna de Napoléon, et la victoire de la guerre totale. Clausewitz est le précurseur de la pensée totalitaire, il théorise l’utilisation de la force de la foule nationale dans la guerre. Chacun des adversaires fait la loi de l'autre d'où résulte une action réciproque qui, en tant que concept, doit aller aux extrêmes.

Le duel, la montée réciproque désigne une relation asymétrique réciproque qui s'est imposé comme tendance dominante de l'histoire. Loin de contenir la violence, la politique, désormais, court derrière la guerre.

Le primat fondamental de la défensive sur l'offensive où c'est celui qui se défend qui veut réellement la guerre vient alors soutenir le déchaînement de la violence guerrière. Alors la mobilisation totale est le symptôme de la dégradation du droit de la guerre, d'une possession de tous les sociétaires par un adversaire à la fois vénéré et haï, d'où le rôle fondamental selon Girard de Napoléon dans le traité de Clausewitz. L'unité de la Prusse, puis de l'Allemagne se fera contre la personne de l'empereur ainsi unifié dans la haine de la France.

Le moteur de la constitution démocratique est le ressentiment disait déjà Nietzsche, elle gouverne leurs relations. Elle contribuera aussi à les désintégrer dans la nouvelle étape de la montée extrême : les guerres idéologiques.

Girard analyse la réaction des intellectuels allemands. Ils vont être fasciné par la guerre, la révolution et Napoléon, Hölderlin semble être seul à être triste, il s'isolera d'un monde ayant perdu toute intuition chrétienne qui permettrait de comprendre au même moment l'instabilité et la stabilité du temps et des hommes à l'intérieur de celui-ci.




B Réconciliation européenne, franco-allemande / papes et politique

Face à la tristesse de Hölderlin confrontée à la montée aux extrêmes franco allemandes, son exil est une sortie de tout manichéisme. Germaine de Staël sera aussi l'autre (imparfaite) prophète de la sortie par le haut de la crise et de la réconciliation franco allemande, elle comprend l'importance du tissage de dialogue franco allemand. Girard y voit la modernité catholique : au cœur de ce dialogue c'est la différence enfin pensée entre le chrétien et l'archaïque dont le catholicisme détient la clé. Il devient résistance aux haines nationales, sérum contre toute idolâtrie nationale et recherche de paix à travers le dialogue de la Foi et de la raison. Après elle, Girard s'appuie sur des exemples artistiques, politiques et spirituels comme la relation entre Baudelaire et Wagner, la rencontre de Gaulle-Adenauer à Reims et enfin l'élection de Benoit XVI comme sommet du développement de la catholicité, symbole parfait de l'Europe attaquée en interne par l'esprit de la guerre qu'elle a développé mais qui n'est pas elle. Europe qui par ce processus s'adresse au monde entier par sa montée aux extrêmes et par ses tentatives d'en sortir.

En 1962, de Gaulle et Adenauer se retrouvent dans les ruines des deux pays qui s'étaient trop imités. L'Eglise organise l'office consacrant la volonté de pardon mutuel et marche vers la réconciliation. Cela ne se fait pas pourtant sans grosses appréhensions des deux cotés. Cela sera un exploit politique. Exploit répété par JPII en 1996. Revenir là où il y a le vrai débat, la vraie guerre comme entre Charlemagne et Léon III.

 La rencontre De Gaulle-Adenauer eut lieu à Reims, ce ne fut pas un hasard. Dans ses Mémoires, le général de Gaulle expliquera le choix de Reims, «symbole de nos anciennes traditions, mais aussi théâtre de maints affrontements des ennemis héréditaires depuis les anciennes invasions germaniques jusqu’aux batailles de la Marne. A la cathédrale, dont toutes les blessures ne sont pas encore guéries, le premier Français et le premier Allemand unissent leurs prières pour que, des deux côtés du Rhin, les œuvres de l’amitié remplacent pour toujours les malheurs de la guerre.»

Ce texte et le signe gaullien est une illustration de l'esprit européen défendu par René Girard.

Enfin Girard prend les dernières pages de son dernier chapitre pour explique combien le discours de Benoit XVI à Ratisbonne est un signe de temps dans sa défense de l'esprit européen, dans le refus de tout sacrifice et le chemin de réconciliation entre la foi et la raison.

Au cœur de cette histoire de guerre et de réconciliation, se trouve la question, la querelle entre l'empire et de la papauté. A la fin du livre, Girard introduit une pensée catholique politique. Le rapport entre la papauté et l’empire est simple et compliquée. C’est un rapport d’union et de conflit. Etre pour l’empire, c’est s'échapper du mimétisme originaire européen entre Charles le Chauve et Louis le germanique, la division franco-allemande. L’Eglise peut être du coté de l’empire pour éviter les guerres et toujours en conflit contre l’empire pour refuser sa main mise. Position simple mais très compliquée pratiquement. La division des fils de Charlemagne s’est faite au détriment de l’Europe. Refus de l’équilibre et de la continuité de l’empire romain.

A travers la revue en accéléré de l’histoire européenne, le catholicisme (par son conflit contre l'empire associé au pouvoir sacrificiel) est aussi le créateur du désordre et la stabilité possible dans ce désordre. Le seul lieu tenable dans un monde de la démystification qu’il crée. Tout le magistère, la tradition, la logique, l'infaillibilité papale, l’institution sont les symboles de ce petit repère de stabilité, c’est la stabilité dans un monde profondément déstabilisé par sa propre révélation. Il faut voir le Christianisme porteur de sa propre critique et voir qu’elle maintient ses affirmations. Etre catholique, c’est avoir un pape, un magistère qui ne dépend pas de soi. C’est aussi ce qui demeure de ce qui aurait pu être l’empire s’il ne s’était pas effondré. La catholicité se prend aussi dans sa romanité, dans son souci de stabilité. Le combat de la papauté contre l'empire s'est transformé en un combat de la violence contre sa propre vérité, qu'elle ne pourra refuser de reconnaître à moins de provoquer une apocalypse. Le pape nous conseille seulement de sortir de notre rationalisme étriqué, mais il ne peut faire plus nous dit Girard.

Girard dresse un portrait de la catholicité comme lieu essentiel anthropologiquement pour échapper à toutes les bipolarités, individuelles ou sociales.  Le pape incarne cette vérité en guerre contre la violence. Seul la tradition judéo chrétienne et la tradition prophétique peuvent seule rendre compte du monde dans lequel nous sommes entrés. Selon Girard, c'est parce que les signes des temps convergent aujourd'hui que nous ne pouvons plus persévérer dans la folie des rivalités mimétiques


II Benoit XVI à Paris, Post scriptum

"qui osera dire que le tombeau de Napoléon aux invalides ressemble au mausolée de Lénine?" P304 AC

Revenons en Septembre 2008 et au voyage de Benoit XVI à Paris. Venant originairement pour fêter les 150 ans des apparitions de Lourdes, il a voulu venir à Paris. Cette étape parisienne sera marquée par trois moments clés. Son inauguration et son discours au centre des Bernardins, les vêpres à Notre Dame et la messe sur l'esplanade des Invalides.

Accueilli avant par le président de la république, Nicolas Sarkozy, il a pu dire : "Je suis profondément convaincu qu'une nouvelle réflexion sur le vrai sens  et sur l'importance de la laïcité est devenue nécessaire. Il est en effet fondamental, d’une part, d’insister sur la distinction entre le politique et le religieux, afin de garantir aussi bien la liberté religieuse des citoyens que la responsabilité de l’État envers eux, et d’autre part, de prendre une conscience plus claire de la fonction irremplaçable de la religion pour la formation des consciences et de la contribution qu’elle peut apporter, avec d’autres instances, à la création d’un consensus éthique fondamental dans la société."

Il note donc l'importance de la séparation entre le pouvoir politique et temporel,  de la conscience du rôle de la religion dans un monde en "dépression" et la fragilité de la situation des jeunes. Pour l'union européenne,  il note que la France doit veiller au développement de son droit mais aussi aux différences nationales. De plus, "la France, historiquement sensible à la réconciliation des peuples, est appelée à aider l’Europe à construire la paix dans ses frontières et dans le monde entier."

Aux Bernardins, Benoit XVI tint un discours sous forme de conférence au monde culturel parisien. Il voulut par ce texte, profitant d'être dans un lieu symbolique du monachisme occidental du Moyen-âge, montrer qu'elles avaient été les bases chrétiennes de la culture européenne. Saint Benoit et ses disciples ne voulaient pas chercher à construire une civilisation sur un empire en perdition et bientôt en ruine. Ils voulaient chercher Dieu, chercher tout ce qui ne passe pas, puiser à la source des trésors antiques, travailler le chant et les arts et la parole de Dieu pour mieux le connaître, travailler la matière pour participer à la création, toujours trouver la voie médiane entre l'arbitraire subjectif et le fondamentalisme.

A Notre Dame, après les Vêpres, il tint un discours aux clergés et autres consacrés, il développa particulièrement dans son discours l'importance de l'attachement personnel à la parole de Dieu. Il parla aussi de la foi du Moyen-âge qui bâtissait des cathédrales et des papes liées à son histoire, Alexandre III, Pie VII et Jean Paul II.

Le lendemain eut lieu la messe devant les invalides. Le pape nota le lieu extraordinaire de la cérémonie. L'homélie se concentra sur la lecture de la lettre de saint Paul. (I Corinthiens 10) et la nécessité de fuir le culte des idoles et les fausses représentations de Dieu et les sacrifices sanglants. Le pape souhaita nous faire reconnaître les idoles du monde contemporain. Face aux idoles, le plus grand acte de résistance est la vénération de l'Eucharistie et la participation à la messe, elle nous aide à ce que nos paroles, nos actions et nos pensées soient en accord avec Dieu.

Il me semble encore important de citer le discours du pape devant l'assemblée des évêques français à Lourdes. Il cite le pape Jean Paul II pour qui la nation existe par la culture et pour la culture, qu'il ne faut pas la sacrifier à l'uniformisation terne. Il dit encore que la reconnaissance des racines chrétiennes de la France est une base pour les français pour savoir d'où ils viennent et où ils vont.

Il lance aussi ce programme étonnant :" Par conséquent, dans le cadre institutionnel existant et dans le plus grand respect des lois en vigueur, il faudrait trouver une voie nouvelle pour interpréter et vivre au quotidien les valeurs fondamentales sur lesquelles s’est construite l’identité de la Nation."

Face à ses extraits de discours comment ne pas voir la continuité entre la fin de "Achever Clausewitz" et ce voyage français du pape Benoit XVI ?

Comme pour les discours de Ratisbonne, Benoit XVI continue de frayer un chemin et tenter de convaincre le monde entier de concilier la foi et la raison. Cette conciliation est l'origine de l'idée européenne. Idée qui nait sur les ruines d'un premier empire.

Il est difficile de savoir si le pape lui même a choisi  les lieux de ses discours. Mais comment ne pas voir dans cette perspective, en connaissance de son sermon anti-idolâtrique un message qui serait : "Achever Napoléon". Hitler arrivant dans Paris occupé, visita les invalides et le tombeau de Napoléon et affirma que ce fut le plus beau et le plus grand moment de sa vie. Le pape allemand venant à Paris vient au lieu même du culte impérial et de "l'esprit du monde" dire qu'il faut arrêter de se tromper de divinité et vénérer l'Eucharistie. Après Reims, il n'y a pas eu d'images plus fortes pour représenter l'esprit européen. Esprit européen qu'il a pris soin de discerner aux bernardins, esprit plus fort que les empires, qui survit à toutes les guerres du moment que l'union de la foi et de la raison soient préservées. La messe des invalides peut être vues comme une sorte de guérison sur les plaies les plus sensibles comme avait pu l'être à Reims la rencontre de réconciliation entre de Gaulle et Adenauer. Cette intuition peut-être soutenue par le souvenir de Pie VII évoqué par le pape à Notre-Dame.

Le discours des Bernardins et celui face aux évêques résonnent entre eux. Le pape n'appelle pas à une révolution ("dans le cadre institutionnel existant et dans le plus grand respect des lois en vigueur) mais appelle à une conversion spirituelle et sociale pour retrouver plus amplement l'esprit européen (" il faudrait trouver une voie nouvelle pour interpréter et vivre au quotidien les valeurs fondamentales sur lesquelles s’est construite l’identité de la Nation."). Il est évident que le discours des bernardins en plus d'être une présentation de la naissance européenne était une présentation de la structure  de "toute culture véritable"  et un plan culturel pour la France et l'Europe au moment de la mort de la nation comme idole et des autres "idoles contemporaines" bien vivantes.

 

III Et désormais ?

L'année 2008 parait désormais lointaine. La crise des subprimes s'est développée, la crise grecque (entre autres) a remis en cause l'autorité morale et réconciliatrice de l'union européenne, en France, aux élections européennes de 2014, un parti dit "eurosceptique" est arrivé en tête du scrutin, le pape Benoit XVI est devenu pape émérite. Le pape François, pape sud américain a été élu. La crise syrienne s'est enracinée donnant lieu à l'installation de l'état islamique et facilitant la vague d'attentat en Europe. René Girard est décédé en Novembre 2015 et n'a pas écrit de nouveau livre. La dimension instable du monde a pris beaucoup plus d'évidence en Europe.

Que demeure t-il de l'Esprit européen et du combat du pape pour l'esprit européen ?

Relisons le discours du pape François au parlement européen à Strasbourg, du 25 Novembre 2014.

 Le pape reconnait les crises profondes. Crises du droit, du citoyen ou plutôt de l'individu démesuré ayant perdu le lien avec le bien commun et devient source de violence et de solitude. Il voit une crise économique douloureuse, la distance d'une institution qui ne pense que de manière technique et économique et plus généralement un mode de vie égoïste, une opulence qui n'est pas durable et tend à développer une vision humaine comme engrenage ou déchet,(expression de la culture du déchet,  avortement et euthanasie citées), drame de l'immigration de masse. François interroge les parlementaires européens sur la prise en compte des fragilités des personnes et des peuples européens.

Quelles solutions sont possibles? Le pape dit qu'il est là pour encourager et espérer.

Mais c'est une question spirituelle, l'Europe doit retrouver son âme.

Il en appelle au retour aux pères fondateurs concentrés sur le travail pour favoriser la paix et la communion. Au centre de ce projet, il y avait la confiance en l'homme non comme sujet économique ou citoyen mais comme un personne dotée d'une dignité transcendante. Or "il existe un lien entre dignité et transcendance".

Il appelle à prendre exemple sur Platon et Aristote représentés au Vatican, avoir un œil sur la terre et vers le ciel. Il insiste sur la nécessité de l'ouverture au transcendant  pour garder la dignité humaine. (ce n'est pas un danger pour la laïcité, dit il.)

Il demande de veiller à la diversité des peuples, élément obligatoire pour faire ressortir le meilleur de chaque personne et de chaque peuple. La conception uniformisante touche la démocratie elle-même par un nominalisme politique. Celle-ci est menacée par des structures de pouvoir multinationaux. "Maintenir vivante la démocratie en Europe demande d’éviter les « manières globalisantes » de diluer la réalité : les purismes angéliques, les totalitarismes du relativisme, les fondamentalismes anhistoriques, les éthiques sans bonté, les intellectualismes sans sagesse. Maintenir vivante la réalité des démocraties est un défi de ce moment historique, en évitant que leur force réelle – force politique expressive des peuples – soit écartée face à la pression d’intérêts multinationaux non universels, qui les fragilisent et les transforment en systèmes uniformisés de pouvoir financier au service d’empires inconnus. C’est un défi qu’aujourd’hui l’histoire vous lance."

Dans l'ensemble et en particulier pour le drame des migrants, l'Europe sera en mesure d'y faire face si elle sait proposer avec clarté sa propre identité culturelle. Elle saura d'autant mieux qu'elle saura protéger le droits de ses citoyens.

Pour cela, l'Europe doit avoir conscience de sa propre identité et redécouvrir son âme qui est celle de la réconciliation. Les chrétiens sont appelés à être son âme. L'histoire de l'Europe et du Christianisme est encore notre présent et notre futur. C'est notre identité. Elle doit redécouvrir son propre visage et faire que l'Europe ne tourne pas autour de l'économie mais de la sacralité de la personne humaine.

"Le moment est venu d’abandonner l’idée d’une Europe effrayée et repliée sur elle-même, pour susciter et promouvoir l’Europe protagoniste, porteuse de science, d’art, de musique, de valeurs humaines et aussi de foi. L’Europe qui contemple le ciel et poursuit des idéaux ; l’Europe qui regarde, défend et protège l’homme ; l’Europe qui chemine sur la terre sûre et solide, précieux point de référence pour toute l’humanité !"

Il me semble important de noter que le style du pape François est très différent de celui du pape Benoit XVI. Mais la lecture de ce discours permet de voir une continuité exemplaire entre le voyage parisien et le voyage strasbourgeois. Ce n'est plus un pape allemand qui parle au peuple français mais le premier pape non européen (qui dit pourtant "nous" avec l'Europe) aux députés européens.

Il y a le même rappel à la sagesse antique, à l'identité chrétienne de l'Europe, à la nécessité urgente de rappeler la capacité de transcendance de l'homme. Cette identité n'est pas un luxe ou une option mais ce qui l'a construit, elle est présente dès l'origine chez les pères fondateurs des institutions. Plus que Benoit XVI, François parle de la crise que l'Europe vit, et est plus précis des "idolâtries" qui la menacent, ces confusions entre les moyens et les fins : le droit, l'économie, son opulence, son unité, sa globalisation.

Nous pourrions dire que le discours du pape François (et peut être plus encore son encyclique Laudato si) ouvre un nouveau chapitre de "Achever Clausewitz". le pape note les dangers avec plus de force. René Girard faisait comprendre que les papes doivent être mesurés dans l'annonce des temps apocalyptiques. Le pape François l'est encore, il montre ses espoirs et ses encouragements, mais son portrait de l 'union européenne est dramatique. Il n'en demeure pas moins la figure de l'appel à la réconciliation, aux modèles de la création européenne, il invite à voir les nouveaux empires qui ne disent pas leur nom. Sa dénonciation de la culture du déchet peut aussi faire référence à la culture du bouc-émissaire rejeté. Il souhaite que l'Europe et son histoire bimillénaire avec la foi Chrétienne soit le modèle pour le monde. Le discours du pape François est dans une continuité logique mais apporte aussi des éclairages et des inquiétudes encore plus forte. Il devient (malgré son origine directe) l'avocat de l'esprit européen.





Conclusion et prospection

"Achevez Clausewitz" n'est pas terminé. La guerre de l'empire contre le pape, de la violence contre la vérité, décrite avec passion par René Girard, n'est pas terminé. Benoit XVI nous a montré qu'il y avait des idolâtries à achever définitivement, un esprit à reprendre sans cesse et nous a donné une boussole. François continue le combat en s'approchant avec encore plus de courage vers le centre du combat et sa dimension apocalyptique. Il précise, ouvre des pistes, espère et provoque. Il n'est pas catastrophiste mais bien apocalyptique comme la confusion récurrente tente de nous méprendre.

Ces quelques lignes avaient pour objectif de reprendre le dernier livre de René Girard, essayer d'en montrer une partie de son originalité et de son acuité. Je découvre ici aussi qu'il est lié aux autres livres de l'auteur. Il participe à la cohérence de fond de l'œuvre de Girard. Il fut pour moi une base de départ pour regarder notre monde et son actualité, en particulier pour un européen. Sa démarche apocalyptique ne doit pas nous effrayer, mais seulement nous permettre de regarder avec responsabilité les conclusions de la révélation chrétienne en marche dans l'histoire. Cette démarche nous appelle radicalement. Elle est trop caricaturée et méprisée. Elle entre en contradiction avec nos analyses confortables.

Quelle est l'influence de ce livre ? Qui a t'il touché ? Quels européens travaillent sur ce livre et tentent de rendre toujours plus féconde, plus populaire sa lecture ?

Comment peut il être aussi un outil  pour les européens, les chrétiens des temps modernes conscients de l'instabilité apocalyptique de notre monde ?

Il me semble que la prochaine étape pour répondre à ces question, seraient de réaliser un tour d'Europe des lecteurs d'Achevez Clausewitz. Recueillir les interrogations locales, confronter les hypothèses, les pistes de réflexion, les idées pour faire face à cette "étrange guerre".

Comment fédérer autour d'elle, la préparer sérieusement et devenir agent de l'esprit européen ?

mardi 17 juillet 2018

Baptiste Rappin sur le management


J'aimerais vous présenter le travail de Baptiste Rappin tel qu'il le montre dans cette video.



mardi 24 avril 2018

Alain, Fumaroli, Illich à la recherche de la compassion

Je me régale depuis quelques temps de la lecture de Paris New York et retour de Marc Fumaroli. Plongeon dans le monde, l’image et méditation sur l’art ancien et notre monde d’image. Il y a des trésors magnifiques à chaque chapitre et une invitation à l’otium et à la sagesse. Je ne l’ai que trop peu repris dans ce blog. Permettez-moi de m’appesantir sur un chapitre. "La souffrance des autres : Leurres de la compassion contemporaine". Recherche de la compassion et analyse de l'hubris de la compassion qui disparaît par sa structure injonctive et sans limite. Cela nous permet de faire le lien avec la lecture d'Illich de la parabole du bon samaritain. Tout en bas, en annexe, vous lirez un extrait du livre de Kavanaugh (Comme un hôpital de campagne) qui servira de base à la partie sur Illich, puis vous lirez mes notes sur le chapitre de Paris-New York qui est ici travaillé.
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Fumaroli analyse le lien entre l’engouement contemporain pour le bon sentiment et la compassion et comment cette dernière s’est enfui des arts.

Il voit une corrélation, la réalité de la recherche égoïste de son propre intérêt avec la mise en avant de la compassion et de l’émotion publique dans un environnement où la violence des images prend la place de tout l’imaginaire.

Il oppose ces bons sentiments compassionnels avec l’humanitas et la caritas.
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Humanitas antique, représenté par Cicéron comme éducation à la beauté et considération de la beauté des liens non-politiques caractérisée par l’indulgence entre égaux et la bonté des plus riches. La caritas chrétienne s’est inspiré de cette humanitas pour les relier avec sa vocation divine.

L’humanitas et la caritas, et contrairement dans l’art religieux occidental et antique, ne sont plus représentés dans l’art contemporain.

Fumaroli appelle le philosophe Alain. Celui-ci, bien qu’athée, rend grâce à l’art chrétien d’avoir laissé une place forte à certains lieux communs, dits « populaires », lieux de l’éducation de cette humanitas et caritas, il pense particulièrement au sourire mystérieux du bébé près de sa mère et des vierges à l’enfant. Moments où la raison aussi bien que l’imagination retrouvent leurs origines. Alain dit encore que l’art Chrétien avait un travail d’éducation, de maitrise des désordres de l’imagination, d'autonomisation de l’individu et d'éveil des sentiments.
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Nous n’avons plus de lieux communs, mais des concepts et l’alliance de l’art avec la technosphère.



Les bases de la compassion ont été échangés. Le Christ en croix rappelait notre prochain souffrant, Rousseau et les modernes voient dans le prochain souffrant le Christ. La compassion n’a plus sa source dans le très haut. Cette souffrance était assumée par Dieu qui rappelait à l'homme qu’il y avait quelque chose de fou dans celui-ci. Il y avait au cœur de l’univers un abime de souffrance et de compassion auquel chaque être humain pouvait prendre part. La croix divinise l’humanitas et la caritas. Petites brises, à peine réelles, qui donnent le suc de notre vie par l’attention qui nous est possible de donner. Cela me fait penser à la perspective d’Ivan Illich sur ce qu’il estime la mauvaise lecture de la parabole du bon samaritain (voir plus bas, la citation de Kavanaugh de son livre comme un hôpital de campagne.) Le samaritain face à l’homme blessé est bouleversé dans ses entrailles et agit en toute spontanéité, librement et non sur un sens universel du devoir. Le prochain se transforme en tous nos frères humains. Ce qui est pour Illich une perversion du Christianisme. (Ce qui lui faisait dire quand on lui parlait de famine en Ethiopie : I don’t care. Devons-nous intégrer cette réaction ?) Le prochain devient dans la modernité économique un espace infini et virtuelle bien représenté par l’amitié facebookienne. Paradoxalement, le christianisme ouvre un espace sans borne à l’hubris industrielle et aux institutions qui veulent faire le bien sans limite. Illich disait qu’il fallait faire autant attention aux méchants qu’aux institutions qui prétendent faire le bien en grand, à toutes les cléricatures et institutions contreproductive.


Dans l’art ancien, la souffrance est présente en forme de litote, mise à distance par la réflexion. Désormais plus rien ne nous est épargné dans un fracas de cris de témoignages d’horreur, de sang, d’images. Tout concourt à l’appel de notre compassion et de notre angoisse. (les réseaux sociaux et twitter en particulier sont un magnifique exemple.)
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Je laisse enfinla parole à Fumaroli qui dans son style magnifique dit combien ces appels ne sont rien et sont le syndrome de notre perte de charité face à la contradiction que nous devons supporter entre la tragédie humaine permanente et la tendre humanité

P371 La théologie en sait long sur les limites du connaître et du sentir humain. Seul un Dieu a pu avoir un cœur si gros et doué d'une empathie si inépuisable qu'il ait pris sur lui toute la misère du pauvre monde, dont on nous explique par ailleurs, cartes, photographies et épreuves scientifiques à l'appui, qu'il s'entretue dans le sang, qu'il se fendille, se dessèche ou se noie dans la fonte des glaces. Seule une fiction euphorique et flatteuse, de force et d'effets égaux à ceux des informations qui nous rapportent la déliquescence de la planète et l'agonie de tant de nos frères et sœurs humains, peut nous faire croire que nous puissions, individuellement ou collectivement, endurer tant d'éprouvante et de plaies d'Egypte. En réalité, faute de vivre à la fois selon ces deux régimes d'émotion contradictoires, ce glas incessant qui fait frémir notre sensibilité altruiste ou naturiste produit, autour de la plupart de nos cœurs, des cals épais qui les protègent et les dispensent de s'émouvoir autrement qu'en bonnes paroles écologiques et donations humanitaires affranchies d’impôt. Et nous nous replongeons aussitôt dans l’alléluia universel des publicités euphoriques, des clips paradisiaques, et de l’éternel sourire engageant, toutes dents en poupe, d'un escadron de majorettes frétillantes et ravies qui apportent sur la table un gâteau d'anniversaire, enjoy ! Happy birthday to you




plus bas citation de Cavanaug dans "comme un hôpital de campagne."

jeudi 2 novembre 2017

"Les particules élémentaires" - quand Houellebecq relit "le meilleur des mondes"



Je l’avais lu peu de temps après sa sortie, il fut bon de relire maintenant "les particules élémentaires" de Michel Houellebecq. Paru en 98. J’avais oublié l’essentiel, mais avais retenu les détails les plus marquants pour ma cervelle de post ado, les obsessions de Bruno, le collège, le camping, la marâtre, des conversations scientifiques que je ne comprenais pas. Tout prit sens et dimensions lors de cette seconde lecture récente. Les maux de notre temps exposés avec détresse et détachement, une tentative historico-romanesque de la description de l’état du désir et des individus à la fin du second millénaire, la fatigue désespérante d’être soi, d’être homme ; les absurdités et les malheurs de la vie moderne, notre meilleur des mondes, l’explosion de l’individualisme, la fin de la sortie d’une vie traditionnelle et le chaos en découlant. M'apparurent aussi les figures de femmes magnifiques comme Annabelle, Christiane malgré tout, la grand-mère. Le livre joue perpétuellement sur une ambiguïté, Houellebecq veut-il vraiment cette fin de l’humanité, cautionne-t-il cette plongée en enfer de l’individu qu’il accompagne avec tendresse ?

N’est-ce pas la pratique miséricordieuse du romancier qui accompagne son personnage jusqu’au bout sans le juger ? Houellebecq expose et va jusqu’au bout de ses limites sans exposer ce qu’il faudrait faire ou tenter de comptabiliser les péchés des uns et des autres.

Il me semble qu’un chapitre résume le livre mieux que tous les autres et je souhaiterai m’y arrêter. Il s’appelle "Julian et Aldous". Il se situe au centre du livre. Il décrit une conversation entre les deux demi-frères, héros du livre, Bruno et Michel. Ils discutent du "meilleur des mondes" et du destin et des pensées des frères Huxley. (revoir ici pour quelques souvenirs)

Il y a, je crois, une belle mise en abîme et un souci particulier donné à ce chapitre par l’auteur, au point qu’il me semble que Houellebecq nous donne la clé de son livre ou, au moins, son point de départ créatif.

Mise en abîme car, il nous est donné à voir chaque personnage du roman comme représentant d’un frère Huxley.
Résultat de recherche d'images pour "julian aldous"
Bruno, comme Aldous Huxley, n’est-il pas écrivain, autant contempteur du monde technique que tombant à pied joint dans tous les pièges sexuello-spirituelle ? Ces recherches personnelles sur la sexualité (pour ne pas dire son obsession), la religiosité new age. N’est-ce pas lui qui dans la conversation loue le livre d’Aldous Huxley en notant combien le monde ressemble ou veut tendre à ressembler à tout ce qu’écrit Aldous Huxley et combien notre époque est hypocrite en croyant s’en distancier et à regarder avec effroi le monde proposé. Ce frère Huxley fut parallèlement un des portes étendard de la culture hippie, libération sexuelle, religiosité hindoue, new age, désir de l’explosion de la potentialité personnelle par le développement personnel.

Michel, comme Julian Huxley est biologiste et artisan du meilleur des mondes par ses recherches et ses espoirs que son frère n’a fait que représenter dans "le meilleur des mondes", au départ avec jubilation et ensuite avec esprit semi-critique. Julian est le scientifique rationnel et le théoricien anthropologique de ce meilleur de monde.

Ces deux frères se retrouvent comme architectes de ce monde parfait. Michel et Bruno commencent à vivre dans ce monde parfait et même le réalisent. Dans ce chapitre au milieu du livre ils évoquent ces deux frères.

Ils portent le même constat que les frères Huxley, Il y a eu une transformation anthropologique lourde : la modernité et la séparation des éléments traditionnels de la vie, chaque humain tendant de plus en plus vers l’autonomie personnelle, les désirs sont libérés, le religieux n'a plus le même sens que par le passé, nous sommes passés à une situation où le "je" était le singulier du "nous" à une situation où le "nous" est devenu le pluriel du "Je" comme dirait Olivier Rey. Houellebecq ne développe ici, ni ne synthétise trop en détail cette mutation anthropologique.

De cette révolution naît le matérialisme et la science moderne, de chacun va naître l’individualisme et le rationalisme. Chacun de frères Huxley et de Michel et Bruno vont représenter une de ces branches, conséquences de cette mutation.

Les frères Huxley dans leur projet et l’anticipation, les demi frères Michel et Bruno dans l’exploration et la vérification de ces thèses. Tout en montrant que nous sommes tous plus ou moins trempés dans cette histoire.....

Je crois que le livre souhaite montrer trois choses. Premièrement que nous vivons une époque où deux frères jumeaux dominent. Ce que Bruno et Michel appellent le mouvement hippie, et la "démocratie sociale suédoise". Le premier représenté par Aldous Huxley et son livre "l’ile" (Dont Aldous parlera comme l'ultime chance donné au sauvage pour vivre hors du meilleur des mondes.) et le second représenté par Julian Huxley et l’image de ses recherches, le meilleur des mondes ; que notre monde est un gloubiboulga de ces deux perspectives opposées et jumelles, conséquences de la mutation anthropologique.

Il montre enfin que la vision hippie d’Aldous Huxley n’est pas viable à long terme. Selon Houellebecq, Aldous ne voit pas qu’en « libérant » l’homme et ses désirs, on installe une compétition infinie entre eux, ne créant ensuite vanité, rivalités, cruauté et malheur, notamment sur le plan sexuel et financier, le saupoudrage de religieux ne sert à rien, il reste la drogue et les antidépresseurs, logique finale du mouvement individualiste représenté par Bruno. Houellebecq est alors très convainquant, la pitié que nous inspire ce personnage et le monde qui s’y associe prend les tripes.

Enfin, il montre que le mouvement rationaliste est plus conséquent, la mutation peut enfin s’accomplir non pas par le mental mais par la génétique biologique chère à Julian Huxley. Il cerne comme toute tradition philosophie et religieuse, le danger des désirs humains et le contrecarrent… Les recherches de Michel sur la reproductibilité parfaite des brins d’ADN, permettent un homme immortel, mais ce n’est plus l’homme. Un homme sans sexualité, ni différenciation sexuelle, ni engendrement sexuel, sans désir, ni mortalité n’est plus un homme. Houellebecq semble aller au-delà de tout jugement, Il voit en Michel et son comportement rationaliste, dans les désirs de « démocratie sociale suédoise », le trans humanisme, le désir d’en finir avec l’homme, espèce tragique, sexuelle et passionnée. "Le meilleur des mondes" est notre avenir et nous le voulons. Tout désir de trouver un échappatoire est illusion. Le transhumanisme est la logique de l'évolution de la psyché humaine moderne.


Oui, je crois que le livre est résumé dans ce chapitre.

Je me souviens (je n’ai plus la source) d’une interview où Houellebecq montrait son mépris de la théorie mimétique de Girard qu’il ne comprenait pas, je crois. Pourtant, nous pouvons voir des grands points communs. Il ne voit pas le mécanisme mimétique et le lien entre perte du système traditionnel, individualisme et vanité, malheurs compétitifs. (alors qu’il est tout proche de l’exposer point par point…), ensuite pourtant, il voit tout à fait les mouvements sociaux dramatiques qui y succèdent.

Dans une situation de mutation anthropologique, Girard parle d’Apocalypse, quand il suit l’histoire du désir, c’est-à-dire, d’une situation de révélation où les hommes son face à leur propre violence et ont le choix entre l’autodestruction et la conversion au Christ, synonyme d’accueil de notre désir et de son juste objet. Houellebecq voit la cruauté et l’autodestruction dans la bêtise et la drogue mais il n’est pas aussi radical, le choix se fait dans l’abrutissement par la médication et le transhumanisme qui signifie la mort de l‘homme. Il travaillera plus tard sur le fondamentalisme, il s’interrogera sur l’art et les merveilles de l’amour homme femme, mais la rencontre du Christ ne s’est pas encore fait, son dernier livre (Soumission) pourrait presque s’appeler "comment je ne me suis pas converti au catholicisme malgré tous les chrétiens qui ne cessent de me rappeler que je devrais l'être…….."

C’est ce qui fait le désespoir lucide de Houellebecq, le monde est une souffrance déployée. Mais ses livres nous sont bouleversants et si nécessaires….
(Je recommande le livre de Maris sur Houellebecq (Houellebecq économiste) pour les plus curieux)


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prise de note au fil de la lecture du chapitre

vendredi 13 octobre 2017

L'animalisme par Francis Wolff

Je vous propose une émission intéressante de Francis Wolff sur l'animalisme et ses limites. Une base intéressante pour discuter, il me semble, sur ce phénomène aussi logique que dommageable...

Le bien-être Animal, sujet à la mode, mais soyons attentif aux excès. Élargissement de l’humanisme et de notre sensibilité ou signe de l’appauvrissement de notre relation avec notre humanité et notre animalité ?

On nous demande tout de même d’acquiescer, l’homme est un bourreau, l’animal une victime. Voyons les dangers.

A Indifférenciation


Souvent cette tendance montre l’homme comme un animal comme les autres. Contradiction, douce ambiguïté, l’animal est-il hors ou à l’extérieur de nous ? Ces personnes jouent avec ces distinctions pour mieux les annihiler. Comment faire ?

L’homme est un animal comme les autres, mais puis que nous sommes nous-mêmes animaux, nous devrions traiter les animaux comme nous traitons les êtres humains. On l'inclut puis on l'exclut dans la conclusion, c’est un sophisme dit mr Wolf... Si nous étions des animaux comme les autres on ferait comme eux et nous nous moquerions des autres.

Si nous sentons que nous avons des devoirs et que l'animalité ne suffit pas à nous définir, nous perdons tout avec des argumentaires indifférencialistes.


B Perte de la diversité de notre relation aux animaux.

Souvent, la protection animale limite leur perspective aux mammifères. Nous ratons la diversité des animaux. Plus encore, cette diversité n’est plus prise en compte, plus le régime juridique des animaux est mis en avant. Être vivant doué de sensibilité ? Mais quelle mesure pour l’éponge ? Que ferait le droit entre le loup et l’agneau. Certes un animal n’est pas un meuble, mais cette définition nous conduit dans une impasse théorique et morale.



C symptôme de notre modernité

Ces attentions positives envers les animaux viennent dans un monde où l’animal est partie calculable en viande et défection, en pleine chosification du vivant. C’est la sous-prolétarisation de l’animal moderne. Wolf voit un lien avec l’autre excès qui est la personnification de l’animal. Pour éviter d’en faire une chose (ou de voir que nous en faisons des choses ?) Erreur symétrique et les animaux ne gagnent rien.

Wolff voit dans cette symétrie, l’appauvrissement de la situation de l’homme dans son imaginaire. Imaginaire citadin qui ne voit plus que l’animal domestique et perte de sa place classique et traditionnelle. Il n’y a plus de frayeur, de compétition, de sacrifice, de collaboration, de lutte, de relations familiales,  nous ne luttons à peine plus contre les nuisibles. Les affects étaient nombreux : compagnie, adoration, chasse, combat, jeux, extermination, amitié et inimitié immense. La dimension affective a tout pris et cache ce que nous ne saurions voir. Tout cela a pour origine l’appauvrissement de notre relation avec la variété des espèces.
Tout cela est favorisé par le mythe hyper technique de l’harmonie entre espèce. Image de la nature bienveillante et aseptisée dont vient une nouvelle morale hors de toute lois universelles et seulement centrée sur le sens de la victime. Il n’y a plus de sens de l’universalité, de la communauté, perte des devoirs.
Nous ne voyons pas que ce droit de l’animal est réducteur pour nos devoirs vis-à-vis des animaux. La compassion mange le sens de la justice.
Nous voyons aussi une indifférenciation, provoqué par l'oubli de de ce que nous devons aux animaux pour que l'homme apprenne à s'identifier. L'égalitarisme ensuite indique un signe égal entre tout ce qui est vivant et capable de sensibilité, mais ne voyons nous pas que l'égalité des individus vivants est contraire à l'équilibre des vivants. l'animalisme est ennemi de l'écologie.
L'animalisme vient aussi de l'extension de la sphère de la communauté morale. Mais qui sommes nous ? Nous qui devons traiter l'autre comme nous-même ? L'animalisme est le signe de cette contradiction et de cette hésitation.
L'âge classique voyait l'humanité entre Dieu et animaux… En enlevant le premier, l'âge moderne tend à enlever la frontière avec les seconds…
Plus de Dieu pour limiter nos actions, plus de bêtes pour nous mesurer. Nous ne savons plus qui nous sommes et nous ne savons plus qui n'est pas nous…
On ne gagne jamais à assimiler et confondre.
Une réciprocité et un sens de la justice est il possible avec les animaux ? Le sens moral ne nous oblige pas d'élargir la communauté à d'autres vivants mais devrait provoquer notre intérêt au contrat de décence rompu qu'est l'utilisation des animaux dans l'industrialisation.

lundi 26 juin 2017

Olivier Rey - Trinité, trois textes

Voici ci-dessous trois présentations et tentatives de résumés de trois textes d'Olivier Rey.

Je me passionne pour le travail actuel d’Olivier Rey (voir plusieurs textes ici) Son travail sur Illich et la mesure, l’auto-construction, il y a la une richesse folle et des textes, des livres me paraissant indispensables.

J’aimerais présenter trois textes de conférences ou articles parus ces dernières années. Cela fera une Trinité. Cela tombe bien car chacun parle plus ou moins explicitement de la Trinité (et évoque chacun le Christ) mais je peux aussi les distinguer chacun dans l’ordre par une attention plus spéciale pour le Père, le Fils et le St Esprit.

Rey montre (entre autre...) avec culture et talent en quoi le monde, les hommes et la culture discutent nécessairement avec les dogmes chrétiens.
Mythe et logique : Le Père ; Le rationalisme est perte de l’origine comme ce qui me fonde et m’engendre. Une société qui l’oublie, pourtant, perd tout jusqu’à son rationalisme

Hopper et l’annonciation suspendue : Le Fils ; Rey distingue chez Hopper par une analyse pointue une poursuite de la méditation de grands maitres de la peinture sur l’annonciation. Moment de l’incarnation et moment où le Christ rend possible un chemin de crête entre l’idolâtrie et l’iconoclasme, la possibilité de la juste représentation comme le Christ fut l’image de Dieu.

Pourquoi il a été dit que Dieu était mort. Le Saint Esprit : Une société d’individu est une contradiction dans les termes. Nous vivons une hérésie marquée par le meurtre du Père, venant elle-même d’une dislocation de la Trinité venant elle-même d’un oubli du St Esprit. Relation, médiation, celui par qui Vérité et Charité se rencontrent.



Mythe et logique

En commençant par un résumé de Homo Faber de Max Fritsch, Rey présente sa thèse, il y a risque d'involution, de déstabilisation existentielle quand les sociétés sapent ce qui la fonde. Les sociétés modernes s’enivrant de leur progrès, détruisent ce qui les portent.

Avant d’accéder à la science, il faut accéder à l’humanité. Chemin d’autant plus difficile quand on méconnaît les paroles des hommes qui avertissaient du danger.

Rey médite ensuite sur l'interdit de l'inceste vu comme universel par les scientifiques. Celui-ci n'est pas une pratique "eugéniste" mais un interdit participant à l'institutionnalisation des êtres humains par le refus du mélange des générations, principe de raison qui distingue cause et effet. On peut voir cet interdit comme un chemin de protection des bases de la raison commune.

Puis Rey défend Descartes que l'on juge trop souvent symbole de l'orgueil de la raison alors qu'il aperçoit derrière l'ego, la transcendance. Le sujet est assujetti à la causalité mais aussi instance où la causalité se découvre. L'origine se dévoile origine à partir de ce commencement qu'est la raison. Trop souvent l'homme commet "l'usteron prosteron" nommé par Husserl, prétendre déduire des idées de principes qui découlent de ces idées mêmes. C’est un refus de voir la vérité en solidarité avec le chemin qu'il a fallu pour la trouver. Orgueil du refus du créateur ou du procréateur qui sont toujours inconséquence de la pensée. C'est l’exemple de Don Juan congédiant tout sauf l’arithmétique et ne voit pas qu'il congédie tout ce qui permet d'arithmétiser.

Mythe et logos, au départ ce sont les deux manières de s'exprimer chez les grecs, le muthos venant de la personne d'autorité et le logos, la personne sans autorité devant argumenter et user de raison. Avec le logos l'enjeu est l'adéquation avec la réalité. Ce n'est pas le problème du mythe, car cette parole n'est pas séparée de ce dont elle parle. La vérité (aletheai) est dévoilement non par la langue de ce qui est en dehors d'elle, mais dévoilement dans la langue de ce qui est. Si la philosophie est au mythe ce que le réveil est au rêve, le mythe est aussi une recherche de sens qui ne revient pas sur elle-même. Nos mythes pris dans le premier degré de notre dépendance aux origines

Le mythe est malheureusement méprisé, seulement enfance du discours, symbole. C'est une erreur de perspective particulièrement visible au temps des lumières pour qui la raison vient en premier, les prêtres, les religions et les traditions n'étaient qu'entraves.... La conséquence est une perception de l'humanité qui renaît à chaque génération. Il n'y a plus de repère moral mais des moyens et des fins qui s'articulent en dehors de la raison. Il n'y a plus de lien entre sagesse et raison devenue simple outil applicatif que n'importe quel désir peut manier alors qu'il faut une mesure au désir.

Se prémunir à grands renforts d’esprit critique contre la tradition et la pensée mythique n’aboutit qu’à se livrer à des déterminations bien moins dignes de nous guider.

Les mythes expliquent l'origine par des éléments qui occultent leur propre origine, il montre aussi combien la lutte des affects a conduit vers l'ordre. L'homme peut entrer en scène après la découverte de la limite par le Dieu et la fin des conflits sans nom entre eux, par l'établissement sanglant de l'ordre. Le mythe est la figure d'un passé transcendantal, conscience des événements sur lequel elle s'est construite et qu'elle n'avait pas possibilité de nommer. Comment aller vers l'origine ?

Bible, mythe non mythiques

La Bible propose un nouveau cheminement, Le Dieu ordonnateur est posé à l'origine. La mythologie est court-circuité et renvoyé dans les affaires humaines et les conflits entre l'institution de l'alliance et la constante résurgence de ce qui s'y oppose. Les hommes cheminent et comprennent que leur commencement n'est pas l'origine, à l'origine était le logos qu'ils découvrent non comme point de départ mais ce vers quoi ils vont. C'est ce chemin que les traditions aident avec les richesses mythico mythologiques.

La rage rationnelle déplore ce qu'elle provoque, c'est à dire le retour à l'irrationalité, l'oubli de l’émergence de la rationalité. La transmission des mythes est essentielle à la pérennité de la raison.

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Hopper l'annonciation suspendue.


Après avoir souligné la sensation partagée face à un tableau de Hopper, Olivier Rey développe une thèse. Hopper est biberonné de tableaux classiques (Fra Angelico, Vermeer) dont il modifie des points de vue, des gestes, il les insère dans une banalité quotidienne et moderne.



Pourtant Rey nous invite à retrouver les modèles anciens et en particulier des tableaux rappelant l'annonciation et nous montre un Hopper métaphysique, homme de modernité se situant à une frontière. Est-ce que les grands récits religieux du Christianisme sont encore opérants dans un monde qui empêche l'accès au réel ou bien tout cela n'est-il pas une grande farce que notre monde banal et prosaïque ne pouvait qu'oublier ?

Signe d’une déréliction moderne ou découverte d'un au-delà métaphysique et invitation mystique ?

Par ce rapprochement, Rey nous aiguise le regard des symboles et des techniques, nous nous émerveillons de la recherche sur l'image de Marie et de l'incarnation et de sa représentation par les grands anciens et Hopper.

Hopper semble particulièrement questionné par l'annonciation, nous y lisons les images du temple, du passage de l'ancien au nouveau testament.

Hopper ne semblait pas très religieux, élevé dans un protestantisme puritain avec lequel il avait pris de la distance mais d'où il reconnaissait son origine, il s'attriste dans ses tableaux de la place perdu des églises dans certains de ses paysages peints. La peinture semble ce qui fut pour lui le moyen de se rapprocher de la réalité, loin de la sola scriptura ou des tentations païennes.

Hopper, comme peintre, fait face au 2nd commandement de la non-représentation par risque d’idolâtrie. En effet, la Chute a altéré l’image, le lien entre le visible et l’invisible a été non pas rompu mais faussé.

L’incarnation du Christ a modifié la situation. Le visible est redevenu capable de faire signe vers ce qu’il ne montre pas, de témoigner, de conduire vers lui… Le Christ révèle que les corps humains sont porteurs de l’Esprit et les visages spirituels.

Le Christ est venu lever le voile du péché et rétablir l’image authentique de Dieu dans l’humanité et la création. Telle est la doctrine chrétienne qui permet de comprendre, à la fois, l’interdit du Décalogue, et la possibilité de la représentation ouverte par l’Incarnation.

L’annonciation étant moment de l’incarnation, elle est l’origine de la représentation, elle reçoit sa possibilité et son sens. Et en même temps plus grand défi, c'est un échange de parole, consentement mais surtout elle est antinomique comme la forme de la révélation : Mystère insondable et révélation incessante. Et les deux membres de l’antinomie sont nécessaires pour l’idée de révélation : s’il n’y a pas de mystère et de profondeur, si l’objet de la révélation peut être connu et sondé jusqu’au fond par un acte unilatéral de la cognition, nous avons un savoir et non pas une révélation. L’inaccessibilité du mystère est corrélative à sa connaissance. Et comme dit Hadjadj, L’image doit toujours représenter ce qui fonde l’interdit de la représentation, le refus de toute idolâtrie.

L’école artistique moderne dit qu’il est impossible de relever le défi directement, cela va jusqu’à Rothko. Hopper explore une autre voie. Il pousse la tension entre figuralisme (c’est cela) et l’abstraction (ce n’est pas cela)

Marqué par théologie négative du protestantisme, Hopper joue cette tension et montre le risque de tomber dans le banal ou dans la disparition du figuratif (sun in a empty room, image du mariage, séparation des deux personnes représentés par les lumières mais venant tous les deux de la même lumière…). Il chercha, avec sérieux et beaucoup d’humour, la ligne de crête entre « c’est cela » et « ce n’est pas cela », le lieu de la rencontre entre Dieu et l’homme. Rencontre au-delà de toutes les idolâtries

Rey finit par l’analyse de « Gas station » référence à la visite d’Abraham par trois mystérieux personnaages. Genèse 18, Dieu comme Trinité… Clin d’œil encore à l’annonciation
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Pourquoi il a été dit que Dieu est mort.

St Esprit

Olivier Rey tente la généalogie du monde où nous sommes. Comment en sommes-nous venu à cette situation paradoxale d’une société moderne occidentale du culte de l’individu. Religion d’autant plus paradoxale qu’elle s’ignore elle-même et créatrice d’une société où ce qui rassemble est aussi ce qui sépare. Une société basée sur l’illusion de la préséance de l’individu par rapport à la société qui la fonde, basée sur cette phrase (paradoxalement chrétienne) de Nietzsche « Dieu est mort » et où derrière se cache la mort du père, de l’autorité perçue comme illégitime. Ne sommes-nous pas tous des adolescents perdus en lévitation ?

L’individu n’est-il pas pourtant une conquête chrétienne ? Rey relativise. Le christianisme n’est pas la religion de l’individu roi, mais de l’individu en relation avec Dieu et les autres dans le saint Esprit.

Nous vivons un temps de religion hérétique.

La thèse de Rey est que cette société est née de la désarticulation de la Trinité. Celle-ci fut délégitimée par un prétendu archaïsme, contraire à la raison.

Rey, en insistant sur l’humilité qu’il faut pour un tel sujet, propose une approche de ce mystère pour nous en faire sentir ce qu’il a d’essentiel et défendre sa thèse sur notre société hérétique.

Tout comme Dieu, la Trinité n’est pas déductible. N’est-ce pas ce qui fonde notre raison ? Mais approchons nous-y par cette raison même. Suivons Pascal, la raison doit reconnaitre ce qui la dépasse.

La Trinité en trop peu de mot : La Trinité a été pris en otage par les rationalistes, il fallait choisir la foi ou la raison.

Pourtant Ἐν ἀρχῇ ἦν ὁ λόγος. In principio erat verbum ? Simone Weil proposa comme traduction au mot logos : médiation. Si le Christ peut être à la fois médiation entre les hommes et Dieu, et Dieu lui-même, c’est que la médiation, elle-même est Dieu.

Et la médiation que le Christ établit entre les hommes et Dieu, c’est aussi la médiation divine entre le Père et le Fils, unis par le Saint Esprit.

La Trinité est la forme du Dieu d’amour, le mode de l’être-avec est contenu en lui. Aucun repli, Il est déjà amour de l’autre et médiation. L’amour de Dieu pour les hommes est expansion de l’amour de Dieu pour son fils, dans le Saint Esprit (et réciproquement, L’amour des hommes pour Dieu…) La Trinité constitue l’unité (comme les trois personnes font celle d’une langue) chacune ne serait rien, si les autres ne le faisaient tout.

Dislocation de la Trinité par l’estompement de l’Esprit Saint : Le Saint-Esprit est difficile à représenter (peut-on représenter une relation ?)

Rey en profite pour parcourir les disputations du filioque. Les personnes de la Trinité se différencient par leur relation. (Le père principe, Le fils procédant du Père, l’Esprit Saint procédant du père et du Fils)

L’estompement du Saint-Esprit provoque nécessairement la séparation du Père et du Fils ; c’est à terme la séparation de la vérité et de l’amour. La séparation entre Dieu horloger et le Christ aimant. Les contemporains choisissent un Christ sans Dieu, homme supérieur, modèle d’altruisme, révélateur de la vie de l’homme et de la mort de Dieu, il délivre de l’oppression du Dieu tout puissant, de l’absolu dont on ne saurait croire qu’il ait pu prendre chair en demeurant l’absolu. La vérité n’est plus universelle avec un Christ déterminé historiquement.

Blasphème dit Simone Weil, C’est oublier le « je suis la vérité ». La Trinité, nous aide à concevoir qu’il faut unir ce qui est différent. Connaitre et aimer : c’est la vérité, c’est le saint Esprit. Quand on l’oublie, connaissance et amour se disjoignent.

On imagine Dieu comme tout cerveau. Dieu est mort devient une bonne nouvelle.

Après, nous avons un rationalisme sec ou alors un sentimentalisme faux et même leur coexistence dévastatrice. Vérité sans pitié et pitié mensongère (vertus chrétiennes devenues folles).

Méditons toujours la phrase de Jésus, « qui m’a vu a vu le Père », comblons le fossé.

La mort de Dieu était le congédiement du Père trop lointain. Martelons-le : La vie terrestre de Jésus révèle le père. Le père ne donne pas seulement lui-même mais plus que lui dans le Fils. Il faut voir la souffrance du Père dans la mort du Fils et nos péchés et se réjouit du retour des égarés.

Prudence, contemplation et humilité face à ces mystères
Simone Weil, « les dogmes de la foi ne sont pas des choses à affirmer. Ce sont des choses à regarder à une certaine distance, avec attention, respect et amour."