mardi 25 septembre 2012

Carrère et Tolstoï, jugement de l'homme et miséricorde

Hasard des lectures.


En un court laps de temps, deux livres m'ont été conseillés par deux personnes différentes. Je les ai lus l'un  à la suite de l'autre et l'ensemble des points communs ne cesse de m'étonner. Comme si c'était un dialogue à travers le temps que le hasard me proposait.
Ces deux livres sont La mort d'Ivan Ilitch de Tolstoï (voir tout en bas pour le résumé par chapitre...) et D'autres vies que la mienne d'Emmanuel Carrère.


A priori, c'est très différent. D'un coté, nous avons un poids lourd adoré par une grande partie de l'humanité, une "star" qui écrit là une nouvelle sur la mort d'un fonctionnaire vaniteux. De l'autre coté, un écrivain français (avec des origines russes...) habitué aux romans glauques et qui écrivit en 2009, le récit de deux deuils apparus près de lui en peu de temps. il explique comment les familles ont vécus ces expériences et comment cela a changé sa propre vie.


Alors quels points communs ? Les deux livres s'attachent aux petits détails de la vie intime. Le point de vue d'un petit point sur le monde entier, la relation entre sa vie et ses proches. Nous nous retrouvons près du monde de la justice. Ce n'est pas le même pays, ni les mêmes tribunaux mais cela à son importance. (Plus chez Carrère of course.)
Et puis bien sur, les deux livres parlent de la conscience de la mort apparaissant dans ces deux univers.


Alors Tolstoï et Carrère même combat ? Même vertige de l'homme face à l'inéluctabilité de la mort ramenant tout à la réalité-des-vraies-choses-de-la-vie-et-de-la-mort-et-des-familles-et-de-la-vanité-du-monde.......................................................... ?

Oui et non.

Je résumerai ainsi.
L'un prend le parti du procureur, le second, le parti de l'avocat de la défense


Juge, oui, car Tolstoï juge son héros. Il crée un prototype pour l'analyser en entomologiste et pour mieux le tuer. Oui, nous ne croyons pas une seconde à Ivan Ilitch. Il est tellement évident que Tolstoï a pris tout ce qu'il déteste dans la société russe de son époque (fin XIXème). Le fonctionnaire parasite à esprit bourgeois, privilégié indu, arrogant, narcissique, méprisant, artificiel, compliqué et conformiste. Mais surtout il maîtrise la correction. Art de la pudeur et de la morgue bourgeoise qui vous établit homme de qualité.
Il a des malheurs cet homme-là, mais les malheurs d'un égoïste et d'un juge seulement mu par la vanité et cette fameuse correction. 
Et puis, il tombe malade, est ce du à ce petit choc reçu un jour ? Quoi qu'il en soit sa vie ne sera plus qu'un long chemin vers la souffrance, la mort et la torture des questionnement métaphysique qu'il n'avait jamais eu auparavant. Il ne trouvera de consolation nulle part, amis, femmes, enfants, aucune relation véritable. Un simple serviteur par son attention et le soin physique. Il mourra dans d'atroces souffrances et comme nous le dit le premier chapitre, il sera vite oublié... Mais, Tolstoï lui laisse tout de même une chance à la toute fin...
Oui, Tolstoï créa, Tolstoï jugea, Tolstoï condamna. Je pense à cette citation de Hébreux 10, 30 :
Car nous connaissons celui qui a dit :C'est à moi de faire justice,c'est moi qui rendrai à chacun ce qui lui revient ;et encore : Le Seigneur jugera son peuple. Il est redoutable de tomber entre les mains du Dieu vivant !
Carrère, lui, raconte des évènements qui sont arrivés à ses proches. Il témoigne, il rassemble de l'information, il répond à une commande plus ou moins explicite.
De quoi témoigne-t-il ? D'abord de faits. Du tsunami de 2005 dans l'océan indien, et plus principalement au Sri Lanka où il passe ses vacances. Il assiste au chaos sur place et au drame d'une famille ayant perdu son enfant.
Peu après il perd sa belle-soeur. Jeune femme, juge au tribunal d'instances de Vienne, déjà handicapée des jambes, mère de trois enfants. Nous recueillerons son histoire de juge courageuse (défendant au mieux les ménages surendettés et perdus.) Le premier mot qui me vient en pensant à ce livre est indulgence. La délicatesse de l'auteur vis à vis des personnes, des situations, de leur récit est incroyable et de tout instant sans artificialité. Non, ce n'est pas un livre mièvre, c'est un livre d'un auteur qui pense avoir fait des progrès sur la compréhension de l'amour humain et qui le met en oeuvre dans son livre et l'applique au moment où les plus fortes détonations émotives sont en place, la proximité de sa propre mort ou celle de proches. Que découvre t il sur l'amour ? Indulgence donc, fidélité, attention, simplicité. Comment vous jugerez le monde, ainsi vous serez jugé. Miséricorde, émotion et beauté des vies que l'on ne voit pas, qui ne se signalent pas. L'amour est discret.  C'est un vrai remix de l'ode à l'amour de Saint Paul aux Corinthiens appliquée à la vie. De même, ce livre, en plus de révéler l'amour dont il est témoin, n'est il pas une déclaration d'amour à sa propre femme ? Sur ces trois cents pages, nous entendons plus ou moins explicitement Carrère dire à sa femme : "Je t'aime, je veux t'aimer, je veux vieillir avec toi, tu donnes sens à ma vie, je suis bizarre, mais avec toi, je commence à comprendre ce qu'est l'amour."
Ce livre est une déclaration d'amour aux vertus humaines pour ensuite, par un questionnement de la mort et du deuil, descendre au sens ultime de l'amour de l'être élu.

Est ce chrétien ? Oui, si on considère que l'auteur descend dans la réalité de son livre, il vient incarner les risques des personnages. Son regard sur les hommes les sauve. Voir l'amour comme sens ultime, le sacrifice de soi (et non des autres) comme objectif de vie. La mort et le péché sont liés. (Page étonnantes de méditations sur le cancer.)
Je mettrai un bémol dans le sens où une grande tristesse résonne. La mort est vécue avec la noblesse des anciens mais non avec le Christ. C'est la photographie de la noblesse ultime de notre temps. Elle n'est pas  à mépriser (et dans bien des mesures, ne faut il pas s'en inspirer?).

alors que Tolstoï pense nous dire tout de ce que fut cet homme, Carrère écrit :
Et encore, on ne sait pas ce qui se passe à la dernière minute, il doit y avoir des vies dont l’apparente déroute est trompeuse parce qu’elles se sont retournées in extremis ou que quelque chose d’invisible en elle nous a échappé. Il doit y avoir des vies en apparence réussies qui sont des enfers et peut être, si horrible qu’il soit de le penser, des enfers jusqu’au bout.
Nous ne savons jamais tout d'un homme.
Quand Tolstoï semble nous dire qu'il est content d'être loin de cette homme vain et vulgaire, Carrère écrit :

Ah, et puis : Je préfère ce qui me rapproche des autres hommes à ce qui m’en distingue. Cela aussi est nouveau.
Ou bien la différence entre le pharisien qui condamne et prouve son orgueil, sa colère de ne pas être Dieu condamnant, l'autre nous dit : "qui suis je pour juger?", et rend grâce pour la vie des autres hommes et pour l'existence de la femme qu'il aime....

Le hasard de la lecture concomitante de ces deux livres m'ont peut être aidé à comprendre la différence entre un pharisien et un coeur de pierre brisé.

Ou bien, ne voit on pas là deux aspects de la divinité ? L'esprit consolateur et l'esprit de vérité qui plonge l'humain dans sa vanité pour mieux l'en détourner ? C'est possible....


NB: J'espère que le lecteur comprendra que je ne voue pas Tolstoï aux gémonies, ni ne pense que Carrère soit le génie de la littérature des temps nouveaux. Je souhaitais mettre en valeur une découverte que le hasard  des lectures m'a prêtée.

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Résumé de la mort d'Ivan Ilitch
1) Réaction sans pathos (et presque indifférence) des amis et de la femme à la mort d’Ivan illitch
2) Résumé de la vie jusqu'à 30ans, vie de fonctionnaire bourgeois vain
3) Petit problème mais toujours croissance de la richesse et de la mondanité. correct
4) Maladie, aigreur, début de lucidité et de tristesse
5) Prise de conscience de la mort et de la vanité de ses proches
6) La douleur et la mort est omniprésente. Comment est ce possible alors qu’il est, qu’il a aimé la vie, et été sensible ??? La mort, ce n’est pas pour lui.
7) Il se meurt et il sent qu’il dérange. Il trouve réconfort auprès de Guerassime qui l’aide. Il trouve en lui ce qu’il a perdu dans sa famille. Pitié, vérité, simplicité et charité. La correction tant recherché n’amène qu’au mensonge et à la dureté de cœur.
8) Déchéance, tristesse, corps tombe, famille va au théatre, honte et mensonge partout.
9) Seul, il médite sur sa vie. Il en vient même à prier Dieu. Il veut vivre comme avant. Mais avant c’était vil malgré quelques moments de joie… N’a-t-il pas mal vécu ? questionne t il ? Non, ce n’était pas possible, il était la correction même…
10) Il médite sur la mort et de la solitude, la vie est un enchainement de souffrance grandissant. Nous tombons sans vraiment savoir quand sera le choc ? Est-ce parce que je n’ai pas vécu comme il le fallait ? Non, ce n’est pas possible…
11) Non, réflexion faite, il n’a pas vécu comme il le fallait. Toute sa vie n’est que mensonge, il voudrait pourtant vivre, tout lui devient insupportable
12) Il crie, il geint, la mort lui est insupportable, la possibilité du pardon (envers son fils) lui donne un début de béatitude et le dernier mot laisse place au mystère.

mercredi 19 septembre 2012

Serres, la tête de Saint Denis et le savoir


Ci dessous une émission de 5 min de Michel Serres sur le savoir.

(NdPC: elle n'existe plus....)


Rapidement, l'académicien relie le savoir avec l'histoire de son support. Il détermine alors 4 temps.

1) Au départ est le stade oral, les "artistes", les "anciens" pouvait chanter et réciter par coeur les histoires, mythes, souvenirs de la communauté, celui qui savait était celui qui se souvenait. Il avait la mémoire et la confiance de la communauté.

2) L'écriture vint, ce fut l'âge des scribes, Bible, Babylone, vélin, rouleau, tablettes. Le savoir est la rare bibliothèque

3) Puis l'imprimerie ! Tout devient plus accessible dans ma propre bibliothèque. Montaigne commence à dire : Je préfère une tête bien faite qu'une tête bien pleine.

4) Pour introduire le quatrième temps, Serres parle de Saint Denis.
Persécuté à Paris autour de l'an 250, cet évêque de Paris est condamné à la décapitation à Montmartre. Décapité en chemin, il prendra sa tête et montera au sommet de la colline.
Serres compare cette tête désolidarisée à un ordinateur portable et donc l'homme moderne à Saint Denis.En effet, cet ordinateur devient le siège de notre mémoire. Mais pas seulement mémoire personnelle, mémoire mondiale. Il dit que tout savoir est objectivé sous nos doigts. Serres va plus loin, il dit que nous sommes condamné à devenir intelligent. En effet, nous serions les enfants gâtés du savoir, nous n'avons plusqu'à ! Plus qu'à devenir intelligent, intuitif et innovant.


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Beaucoup de réactions en écoutant cette émission.
Le savoir serait une connaissance stockée et prête à être utilisé. Les capacités de stockage externe se développant, la notion de savoir s'est transformé et externalisé.
La conclusion de Michel Serres est paradoxalement optimiste. La condamnation à l'intelligence. Face à l’extériorité infinie des informations, nous, qui avons tout à notre disposition, nous n'avons plus qu'à être parfait. Mais la condamnation sonne comme une menace.
N'est on pas devenu des Saint Antoine du désert perçu par Flaubert. (cf: note précédente). Nous sommes face à une montagne de savoirs, d'opinions, de gens intelligents se contredisant. Face à cette montagne, nous sommes peut être condamnés à être intelligent ou bien à voguer dans les eaux tièdes du relativisme ou du parti pris. Je suis surpris que Serres ne parle pas de la confiance ni de la sagesse. Qui peut nous guider devant cette bibliothèque universelle ?
Cela aussi est lié avec les désirs de cerveau globale que nous partageons avec la communauté internet (n'ai je pas trouvé cette vidéo sur Twitter ?). Cerveau global théorisé par Howard Bloom, désiré par HG Welles.


Je repense à ce premier temps du savoir, le temps du "par  cœur ". Je pense à Fahrenheit 451 de Bradbury par Truffaut où les livres étant menacés, certains hommes devenait hommes-livres et apprenait par cœur un livre pour le conserver et se promettait de la transmettre à un jeune homme.
Je pense à un chef de chœur nous racontant l'histoire de la musique occidentale et de ces lignes mélodiques du grégorien parvenu jusqu'à nous sans écriture mais seulement par la répétition et la transmission de bouche à oreille avant la notation musicale.
Je me souviens de ce prêtre nous disant que la Bible n'est qu'un aide mémoire... Appuyant bien sur ce fait, il rappela que nous ne sommes pas une religion du livre mais une religion du verbe incarné. Le livre n'est que le moyen de transmettre une parole qui n'a plus qu'à s'incarner en nous.

Internet, la nouvelle technologie, comme le dit Serres, fait bien de nous des décapités. Le cerveau mondial technologiste et internetisé n'est il pas la montagne éloignées de nos têtes décapitées pour une communauté d'acéphale cher à Bataille (cf note précédente) ? Monstres défigurés par Internet ? Le geste de Saint Denis que nous rapporte la tradition prend de plus en plus de sens. Il reprend sa tête !
Tout d'abord, ce geste témoigne de la volonté de ce saint à se conformer au Christ. Mourir en haut de la colline comme Lui, témoigner de la foi en Lui. Ensuite, mourir et conserver sa tête avec Lui. Comme si la séparation du corps et de la tête était l'objectif ultime du mal. Comme si la sainteté de Denis nous indiquait que son unité corporelle en était le plus beau symbole.


Si nous allions au bout de la comparaison de Serres. Ne nous faut il pas reprendre notre tête, veiller sur elle?
Regoûter à l'apprentissage par la mémoire. Car tout ce que nous avons, n'est ce pas ce que nous sommes capable de donner, de transmettre à l'oreille d'un autre comme au temps oraux ?




vendredi 14 septembre 2012

De Rohmer à Guilluy - Une géographie de la France

Si vous le permettez, passons un peu de temps avec Eric Rohmer.
Il y a des bonnes raisons de le mettre à distance, de le trouver étrange. Je crois que regarder du Rohmer demande une certaine conversion. Il nous invite à découvre une nouvelle voie méconnue du réel. Convertir notre regard et voir en quoi il propose un réel plus réel que notre propre regard quotidien.
On peut trouver artificiel son art du dialogue, mais n'est pas nous qui le sommes dans notre propre art quotidien du dialogue?
Quoi qu'il en soit, son oeuvre est d'une richesse folle. Entré dans son jeu, ses films sont pour moi maintenant des merveilles d'humour, de poésie et de recherche de réalité.


Commençons avec la vidéo ci-dessous.

Mapping Rohmer from Richard Misek on Vimeo.





Je crois que c'est une bonne introduction à son cinéma. Se basant moins sur les intrigues, ce documentaire anglais d'une vingtaine de minutes, montre surtout un ensemble de plans variés anodins. Les gens marchent, réalisent leur parcours quotidien, partent en vacances, prennent un café, rencontrent par hasard des gens ou se retrouvent en rendez vous. L'auteur montre avec beaucoup d'élégance le plaisir de Rohmer à toucher cette réalité des gens. Il montre la cartographie Rohmerienne. Paris, un peu de province, la banlieue, les héros à travers le temps. Il développe la thèse que tous les films de Rohmer n'en font qu'un et où chaque personne représente un thème, une variation sur un thème plus globale qui serait la cartogaphie de la France à travers le temps, sa géographie. Cartographie ayant pour ambition la compréhension de l'homme et de la réalité. Je trouve cela très juste.


Surtout, ce documentaire m'a permis de mettre deux choses en exergue qui ne sont pas fondamentalement ce qui retient l'attention dans son cinéma.


Le gout du témoignage


Rohmer comprend le cinéma comme la possibilité de transmettre des informations sur l'histoire de la vie quotidienne des gens. Je me souviens d'un documentaire sur un bonus d'un DVD (le signe du lion) où Rohmer faisait l'éloge du cinéma des frères Lumière pour le don qu'il nous faisait de rendre proche nos aïeux de cette époque et nous aider à comprendre leur vie en voyant leur visage, leur maintien, leurs habits, leur mouvements. tout le cinéma de Rohmer est englobé dans cette perspective. la part qu'il laisse aux décors, à la vie qui se laisse vivre autour des personnages principaux est souvent magnifique et rend ces films encore plus agréables


Il témoigne enfin de l'histoire des relations. Car Rohmer a un talent fou pour montrer et faire saillir les points principaux d'une génération. Les années 50 (le signe du Lion), les années 60 (La collectionneuse, Ma nuit chez Maud), les années 70 (le genou de Claire, l'amour l'après-midi), les années 80 (tous le films de la série Comédies et proverbes), les années 90 (les contes des quatres saisons). A chaque fois, je suis impressionné par la capacité du cinéaste à résumer une génération.
On peut voir certaines faiblesses à partir des années 90, un décalage plus fort entre la représentation de Rohmer et le comportement de la génération en question. Je crois que Rohmer a été bien embêté face à la non expressivité de la toute nouvelle génération, sa limitation culturelle, ses loisirs et ses moyens d'expression (ou plus prosaïquement, qu'il ne les comprenait pas...) . Ce n'est donc pas pour moi un hasard qu'il s'est réfugié dans ses derniers films dans l'histoire de France (l'Anglaise et le Duc, triple agent) et les vieux romans champêtres français (Les amours d'Astrée et Céladon) ou bien faire de la cartographie par d'autres moyens...

Le gout de la géographie


Oui, Rohmer aime la géographie. Comment les hommes interagissent avec leur environnement selon leur travail, leur loisir, leur réseaux ? Si Paris a la part belle, c'est l'évolution de la France qui est questionné, le comportement des français. La beauté et l'idiotie des vacances (Le rayon vert, Pauline à la plage, conte d'été, les paysages de la campagne français (Conte d'automne), le nouveau monde du travail (l'amour l'après midi), les banlieues (la nuit de la pleine lune, l'amie de mon amie). Il existe même un film dont le sujet même est le mécanisme des évolutions géographiques. (L'arbre le maire et la médiathèque).

Complètement par hasard, j'ai trouvé ce film reportage réalisé par Rohmer dans les année 50 : Les métamorphoses du paysage.


Eric Rohmer - Les Métamorphoses du paysage: l'ère industrielle (1964) from Guillaume Bergonzi on Vimeo.


Je le trouve extrêmement lyrique et même un peu brouillon (pas vous ?). Il médite sur la transformation géographique donné par la révolution industrielle et moderne. Il voit la laideur nouvelle mais il espère aussi une beauté nouvelle (en regrettant l'ancienne aussi...) à la fin du film, il met énormément d'espoir dans l'architecture moderniste et hygiénique à venir dans ces annnes (le hlm ???...)
Ce film confirme et indique une direction que prendra le cinéma de Rohmer.
Je pense particulièrement au film "L'amie de mon amie". (mais pas seulement, chacun de ses films est un exemple... et une méditation sur le sujet...) Ce film se passe (presque) entièrement à Cergy Pontoise. On peut voir en lui une certaine fascination de ce lieu, comme un petit paradis urbanistique où se regrouperait à merveille, logement, loisir, art, étude travail, nature et rencontres. Pour avoir bien connu Cergy, je me demande si Rohmer n'oublie pas un peu vite la dimension commerciale de cette ville étrange où je ne me suis jamais senti à l'aise. Ne retrouvons nous pas ce qu'appelle Bellanger sur la France moderniste qui n'a plus que la gestion du troupeau et la gouvernance en tête? (cf: note précédente)


Et après Rohmer ??


La suite ? Elle me fait penser au film "voie rapide" de Christophe Sahr sortie il y a peu. Le magazine Slate en a fait un article intéressant sur la manière qu'avait cet auteur de filmer ce que Télérama appelait la France moche, la france du périurbain. La France des centres commercialos-indistrielles. No mans land citado-campagnard.


(Le petit film préparé par le journal "le parisien" dans le lien est bien aussi.)
C'est une chose que Rohmer n'a pas pu tourner et qui pourtant est une dimension géographique nouvelle de la France
Il est intéressant de penser qu'aux dernières élections présidentielles françaises, jamais je n'avais entendu parler autant de géographie. En effet, Christophe Guilluy, par l'intermédiaire de son livre, "fractures françaises", a pu orienter le débat sur cette nouvelle identité géographique française.
Je recommande fortement la lecture du lien ci dessous. C'est de plus en plus nécessaire pour connaître la France d'aujourd'hui.

En quelques mots trop brefs et maladroits, je résume....


Mr Guilluy note tout simplement une profonde modification de la métropole française. Les anciens quartiers populaires et sociaux sont envahis par la bourgeoisie, pour des raisons souvent patrimoniales. L'ancienne classe populaire est coincée entre cette invasion bourgeoise et la nationalisation des bâtiments sociaux, le changement du quadrillage industriel et une arrivée massive d'immigration familiale. Elle part dans ces zone périurbaines. La ville ressemble de plus en plus au monde mondialisé. Les populations populaires sont remplacées dans les villes par une population immigrée. Les inégalités des villes se font de plus en plus fortes (question de la cohabitation de la jeunesse des deux groupes...) Les villes gèrent cette société de plus en plus inégalitaire "en substituant la question ethnoculturelle à la question sociale"
On comprend dans ce contexte l’attachement de plus en plus marqué des classes dominantes des pays développés à une diversité qui rend acceptables les inégalités en faisant disparaître toute concurrence. La lutte des classes pour l’égalité sociale laisse ainsi la place à un combat pour la diversité et à une légitimisation de l’inégalité.


La question sociale a été délocalisé dans le périurbain et en zone rurale, permettant de continuer les débats sociétaux sans être dérangé. De plus la ville devient un monde de déraciné où la mobilité est sacrée, il se crée une certaine dénationalisation qui explique que "les métropoles mondialisées sont les régions qui plébiscitent le plus la gouvernance européenne en attendant la gouvernance mondiale."


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Nous n'avons plus Rohmer mais la France vit de telles modifications à notre époque... 

Qui pourraient nous en parler, nous les raconter ????
Et alors que la France de Rohmer permettait quantité de moments de grâce relationnel (et de folie bien sur...), quelles sont les relations que notre France nouvelle permet ?


Pour la bonne bouche, une note sur le blog (e)space et fiction, blog géographico-cinématographique sur le même sujet avec d'autres reportages de Rohmer sur la ville nouvelle.

mercredi 12 septembre 2012

Pan Tadeusz de Mickiewicz par Wajda

Lituanie,  ojczezna moja !!!




Confrontons nous un instant au classique des classiques polonais par l'intermédiaire du film réalisé en 1999 par Wajda. Pan Tadeusz ! (Monsieur, monseigneur Thaddée)
Dans les années 1830 à Paris, nous sommes les témoins de la première lecture par Mickiewicz de Pan Tadeusz !
Qu’elle est belle ma Pologne et même plus précisément ma Lithuanie…
Je ne connais pas l’œuvre elle-même. L’intrigue est assez compliquée à suivre. Il est question de clans familiaux s’entredéchirant, d’alliance traitre, de l’arrivée de Napoléon marchant vers la Russie et donnant une épisode enchantée à la Pologne alors disparue de la carte, de la découverte de l’amour, des femmes murs ou en fleur, d’un prêtre étrange et presque menaçant, d’un garde clefs flamboyant et terrifiant, de bêtises, d’alcool, de grands discours qui se suivent et d’une langue polonaise rapide et chaotique comme une rivière de montagne…
Que la langue est belle, vraiment !
Que c’est drôle surtout. Je ne m’y attendais pas. Ce n’est pas vraiment romantique. Cela moque l’incapacité polonaise d’être romantique comme les allemands, d'être classique comme les français, d'être impériaux comme les russes. Car, semblent ils dire, nous sommes de mauvais copieurs, (le conte italien, le militaire polono-russe), nos luttes sont ridicules, nos femmes sont trop belles, nous ne sommes pas sérieux, nous sommes trop catholiques, nous sommes trop moqueurs, prosaïques et nous attendons le retour d'un héros… qui quelque fois est nous-mêmes…
Puis sous le regard de la vierge de Czestochowa, nous nous réconcilierons en révélant la triste et belle vérité de nos traîtrises et de nos hauteurs d’âmes.
Nous buvons, nous avons de drôles de trognes, nous aimons crier, nous bagarrer, argumenter, créer des autorités. 

Je n’aime pas l’image, la photo du film, le responsable photo a voulu faire joli, mais il atteint souvent le mièvre. Mais il y a des beaux plans, des belles constructions et une ironie folle toute tournée vers le texte.
La fin du film est extrêmement émouvante, nous reconnaissons dans le triste salon parisien où lit Mickiewicz les héros de notre histoire. Nous venons de finir les scènes joyeuses de l’espoir et des noces. Promesses, promesses, promesses. Nous les reconnaissons et vivons maintenant leur incommensurable tristesse de l'exil. Wajda la capture à merveille. Il semble dire : Polonais, réjouissons nous de ce que nous sommes mais connaissons nos limites et rendons grâce en répétant les premiers vers de Pan Tadeusz… Oeuvre de communion nationale.

A noter
Les femmes et les fleurs, les fourmis, la danse
Le porte-clefs
Le festin
L’armée russe
Les verts paysages
Napoléon
Le château en ruine
Deux salles de ciné parisiennes à sa sortie française....

Essayez un petit peu... Je vous assure la langue polonaise peut être belle !!!

lundi 10 septembre 2012

Le puritain et le pornographe - Drac, Lasch, Houellebecq...


Je pars de ce texte, trouvé sur le site scriptoblog, riche en fiches de lectures de grandes qualités et en analyses originales.
Michel Drac a surtout une expertise dans le domaine économique mais ses analyses diverses et variées sont basées sur une culture générale diverse et exigeante.

Le puritain et le pornographe ? Opposition radicale entre celui qui dit refuser toute représentation du sexe par obsession de pureté et le pornographe qui ne fait que représenter le sexe pour traduire son obsession. Mais Drac part de deux constats (relativement) empiriques, il existe une corrélation forte entre ancien pays calviniste et puritain et les pays qui ont lancé la pornographie de masse. Ensuite, « le sexe montré est l’ennemi du sexe agi ».

Son hypothèse. La Pornographie est un nouveau puritanisme qui veut enfermer le sexe dans sa représentation. 

Drac souhaite vérifier cette hypothèse par une généalogie de la pornographie et par l’évolution de l’homme moderne plaqué sur la structure mentale puritaine.





Le puritanisme né au XVIIème siècle en Angleterre et développé en Amérique est une doctrine appelant à une perfection spirituelle et de purification hygiéniste rappelant le catharisme avec qui il partage la même étymologie. Drac pense qu’il n’est pas purement protestant, il navigue dans un flou doctrinal où la notion de responsabilité domine. Responsabilité face à Dieu, à la cité. C’est un système d’encadrement strict du surmoi bourgeois (privatisation de l’encadrement clérical) tel que Tocqueville l’avait perçu (tyrannie de lui-même, pilier de la liberté américaine). La pureté sexuelle n’étant qu’une part de cet encadrement plus général d’une société « parfaite ».


Ensuite Drac utilise le travail de Lasch pour parler de l’individu puritain à travers l’histoire. Du puritain (aisance comme opportunité du perfectionnement spirituel) par le franc maçon bourgeois (aisance matérielle acquise honnêtement, signe d’une vie digne) à l’affairiste (culte de l’argent en tant que tel, quelques soit les manières de le gagner). Lasch (dans La culture du narcissisme) regarde comment nous sommes passés du bourgeois à Narcisse par l’éloignement du premier de la production et de sa transformation en bureaucrate soumis aux règles fluctuantes du désir. Nous sommes passés d’une sensibilité religieuse à une sensibilité « thérapeutique ». (Terme de Lasch, résumant le régime narcissique du bureaucrate moderne ne devant qu’à lui-même et visant la satisfaction de ses besoins immédiats matériels ou affectifs, la recherche d’un bien-être ou tout du moins son impression est la priorité) Mais si la sensibilité a changé, le principe de responsabilité individuelle gérée par l’intériorisation de la répression n’a pas changé. Ce qui compte maintenant c’est l’intériorisation des règles "thérapeutiques".


C’est en 60 que la crise de l’intériorisation religieuse explose. L’impératif de jouissance prend la place. Celle-ci devient la performance sociale de l’homme responsable de lui-même devant lui-même. Voici le nouveau puritanisme : l’exigence hygiénique du jouir sans entrave.


Le paradoxe est que cette exigence de jouissance va déboucher, concrètement, sur une répression de la jouissance : il se trouve en effet que la société de consommation réserve ses délices à ceux qui ont les moyens de se les payer, par leur sex-appeal (marché du sexe non tarifié) ou par leur portefeuille (marché du sexe tarifé)… et donc, avant de jouir, il faut le mériter.


Oui, le mériter par des multiples sacrifices afin d’accumuler du capital monétaire ou corporel afin d’obtenir la jouissance promise.

Au final, tout a changé, mais pour que rien ne change : les structures fondatrices du puritanisme restent en place, et c’est désormais l’inversion du puritanisme qui les porte.

Cette sensibilité néo-puritaine portant sacralisation du désir a déferlé sur nous et a contaminé notre imaginaire. La pornographie a toujours existé mais son originalité actuelle est son invasion de tous les domaines de représentation. (média, pub etc…) Aussi l’amour passion bref adolescent devient un ideal, le sexe comme objet de consommation est une norme, draguer est normal.

Il faut lire « extension du domaine de la lutte » de Houellebecq pour mieux comprendre les catastrophes intimes et sociales de la transformation du sexe en objet de consommation.



Le sexe est devenu un second système de différenciation sociale, parallèle à l’argent – et exactement comme l’argent fut, avec la dégénérescence de l’éthique puritaine en morale des affairistes, le marqueur de substitution d’un principe d’élection irréligieux, le sexe est devenu, avec la dégénérescence de cette même morale des affairistes en néo-puritanisme des bureaucrates narcissiques, le marqueur d’un principe d’Election thérapeutique. Le contrôle social se poursuit, selon des procédures directement inspirées du vieux puritanisme américain, mais tout est renouvelé quant à la forme des acteurs : en Europe aussi, les féministes castratrices ont remplacé les ligues de vertu, le statut de « tombeur » avec grosse berline et fringues « mode » s’est substitué à l’ancienne valorisation du bourgeois enrichi, la condition du « ringard » « qui ne baise pas » est équivalente à celle du « pauvre » qui, forcément, « était victime de ses vices », etc. Toutes les figures de la répression et de l’incitation sont présentes, mais toutes ont été renouvelées.

Vus sous cet angle, La pornographie n’est jamais que l’iconographie de la nouvelle religion du désir, le bréviaire de ce puritanisme thérapeutique.Le client de la pornographie est le nouveau bigot puritain, par soulagement et par habitude. 

Exactement comme dans l’ancien monde, le curé était chargé de faire tenir tranquille le serf médiéval en lui promettant l’Eden dans l’Au-delà, le pornographe contemporain doit, pour jouer pleinement son rôle social, maintenir dans le jeu les damnés de l’ordre nouveau – ceux à qui l’on promet perpétuellement la jouissance, et à qui jamais on ne l’accorde vraiment.
En plus d’un univers mental envahi par l’idée de sexe, une certaine idéologie caractérisée par mai 68 en France en promettant la liberté a donné « l’universelle frustration des êtres pour qui le sexe est devenu un domaine de compétition parmi d’autres. »

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Cette réflexion sur la pornographie ne l’attaque pas par le flanc «morale» mais essaie plutôt de la percevoir sur un plan religieux et social, fruit d’une évolution moderne de l’homme dans la société (que Lasch appelle société thérapeutique) alliée avec une perception du monde limitée à un contrôle social strict. Mais celui-ci est retourné dès qu’il y a dégénérescence de l’idée initiale du puritanisme.

Car l’auteur, je crois, montre (sans développer autant qu’il le voudrait) qu'une bonne partie de la pornographie (pas toute évidemment... on ne peut pas seulement l'expliquer ainsi) est le triste rite d’un puritanisme dégénéré. Ne montre t-il pas aussi que le ver est déjà dans la pomme puritaine?

cet article nous permet de nous poser plusieurs questions. Comment percevoir le puritanisme ? Comment avoir une vision équilibrée de la sexualité….

D’abord, ce puritanisme me fait penser au vers de Baudelaire dans le spleen de Paris :
Il faut être toujours ivre. Tout est là : c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.
Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise.  
Je me le présente comme des gens ivres de vertus, comme on peut s’oublier dans l’alcool, ne peut on pas s’abrutir de vertus. Limiter sa vie à des règles intérieures strictes pour mieux ignorer les questions importantes.

Or la sexualité est une question importante, elle condense nos désirs de reproduction, d’attention et d’amour. Toute blessure sur ces trois critères peut fragiliser. S’enivrer de vertus ou de pornographie ne fait que nous fermer les yeux sur cette question et aggraver les blessures.

Il est intéressant encore de creuser ce que Tocqueville dit sur les origines puritaines des Etats-Unis. Il dit que le puritanisme mélange le politique et le religieux. Les commandements religieux y sont la politique de la société. La religion a une influence décisive sur les mœurs américaines, mais le pouvoir de la religion est devenu le pouvoir que la société exerce sur elle-même par le moyen de la religion. N’est ce pas adorer Jésus pour mieux s’adorer plein de vertus et encore plus substituer le désir de Dieu à un désir de société de gens vertueux. La foi est remplacée par une compétition comportementale. Vertueuse ou non selon les critères, l'époque etc... 

On peut retrouver ici l'illusion d'une morale chrétienne ou laïque pouvant maîtriser la société par des formules et un ensemble de contrôle social. 

Plus que vouloir que notre société échappe totalement à la pornographie (un peu d’illusoire), ne peut on pas désirer une société non puritaine ?

Qu’est ce que cela serait ? Une société d'hommes responsables, des individus libres mais se sentant responsable vis à vis de la communauté. (La vraie morale se moque de la morale.)
Une société de miséricorde, connaissant et prenant en pitié nos fragilités sexuelles sans les justifier. L'humilité (car le puritanisme est un orgueil très séduisant...) sachant que toute disposition aux concours de vertus est dangereuse. Une société consciente d’une sexualité qui aurait un sens à protéger. 
Comme don de Dieu parlant du mariage entre Dieu et son Eglise ?

Addendum 01/11/2014
http://www.lesinrocks.com/2014/10/30/actualite/eva-illouz-11532931/

vendredi 7 septembre 2012

Aurélien Bellanger et la modernité

Vous en avez peut-être entendu parler ces derniers jours, Il est jeune et bien de sa personne, il vient d'écrire un livre, "la théorie de l'information" qui a plu à certains critiques influents. Le peu de ce que j'ai lu dessus me rend curieux. La généalogie avec Houellebecq est présente, il y a aussi un désir de mettre en avant et de se battre avec les questions technologistes et la manière dont elles influencent notre monde et les hommes.
Interview intéressante ici
Puis, ma mémoire m'aide ! mais oui ! J'avais lu quelques textes de lui, il y a quelques temps et avait été séduit. Quelle chance, je retrouve ce texte. Il me plait toujours autant.

Le texte d'Aurélien Bellanger est long, relativement difficile d'accès malgré la clarté de son style mais il vaut la peine d'être lu. Il me donne une nouvelle perspective sur la modernité en générale, celle de a France et me permet de toucher certains thèmes technologistes qui me laissaient pourtant froid. 
Voici le texte.


L'intro est étrange, elle relativise son texte, elle relativise la dimension technologiste de la France (plutôt californienne) mais la suite n'est pas un divertissement et présente une thèse qui se défend très bien
Tentons un résumé malgré le torpillage du texte par son intro...


1) Au coeur du texte, il y a la notion de "singularisme technique". Prenons un peu de temps dessus.

Cette notion s'inspire du singularisme physique, selon celle ci il existe un point à partir duquel certaines quantités deviennent infinis (ex : masse des trous noirs), de même dans le singularisme technique, il existe un point où le développement technologique arrive à un certain point où il cesserait d'être conduit par les hommes. L'humanité pourrait enfin se laisser aller. Mais se pose la question de son ambivalence, est ce une fin de l'histoire et la rencontre de l'humanité avec un paradis douillet sur terre ou bien est ce un esclavagisme destructeur du principe historique ?
Est ce de la science fiction ? Non si l'on croit le terroriste scientifique Ted Kaczynski dit Unabomber lui même confirmé par un des fondateurs de Sun Microsystems, ou encore par google et son séminaire annuel "singularity university". 
La guerre avec les robots aurait commencé, nous l'avons déjà peut être perdu sans le savoir. Les robots sont certes inconscients mais leur stratégie n'est rien d'autre que l'absence de stratégie des humains et, qui sait, leur inconscience cache des vertus philosophiques (argument métaphysique Leibnizien, intelligence artificielle... passage le plus difficile du texte...). Mais un constat s'impose, alors que le monde informatique parvient à penser la complexité des tâches et pouvant les raconter, les scénariser, les humains sont sommés d'aquérir  des automatismes et d’appliquer des process. 

Ceci expliqué, nous pouvons présenter la thèse de Bellanger :
Se demander dans quelle mesure la singularité technique est perceptible, c’est reconnaître qu’elle existe déjà, et que notre temps lui appartient. Nous pouvons défendre l’hypothèse suivante : les ondes gravitationnelles de la singularité ont commencé à atteindre la France dans les années 70, quand la modernité intellectuelle et la modernité technologique se sont mises à fusionner. (NdPC c'est moi qui souligne)

2a) Auparavant, et avec beaucoup de talent, Bellanger aura décrit la modernité technologique française, née autour de la seconde guerre mondiale et dont les haut fonctionnaires des commissaire au plan auraient été les chevilles ouvrières. La France est devenu à partir de cette époque un état moderne, un pays en état de veille technologique du fait de son organisation technique complexe et indébranchable (du TGV, au minitel, de Total au nucléaire, du rafale à la bombe nucléaire). Tout est fait pour cette pyramide, capitalisme d'état, politique d'immigration, Cac 40, grands fonctionnaires interchangeables, capitaine d'industrie qui ne sont que le symbole du Colbertisme français et des présidents de la république VRP du rafale, le tout couronné par la sécurité sociale. La France comme hôpital dont on ne peut plus couper l'électricité.

2b) Ensuite Bellanger prend du temps pour définir la modernité intellectuelle.
il montre surtout comment elle a accompagné la modernité technique en se nourrissant d'elle et la nourrissant.
Aux industries matérielles devaient répondre l'industrie intellectuelle. C'est le début d'une vivacité intellectuelle incroyable. 
Ce sont souvent des intellectuels révoltés de la technique qui veulent devenir des ingénieurs de l'âme (Foucault, Deleuze, Althusser) avec à l'origine une perception renouvellée de l'histoire introduite par Kojève (personnage clé au parcours étonnant, réinsertion de Hegel) et Hyppolite. C'est de cette lignée que vient le structuralisme, pure pensée du machinisme et du "je suis agi" et de l'histoire comme mécanisme inexorable. On y rajoutera un peu de tragique et un peu de critique, elle deviendra noblesse et mystique de substitution. C'est le temps de Deleuze, et de la déconstruction de Derrida, le monde est un discours à déconstruire. il est difficile de se souvenir de la passion de cette époque pour ses philosophes. Ils sont tous révolutionnaires (l’état et sa force ne sont pas à la hauteur des découvertes cognitives, il faut imposer une gouvernance nouvelle) et fonctionnaires.
En 80, reflux des théories critiques, on doute de la révolution. Bourdieu intervient.
La bonne organisation de la société française sera l’ultime eschatologie que les intellectuels français défendront.
En 98, Houellebecq confirme avec mélancolie l'état de fait, le modernisme a gagné malgré nous. Son kitsch, son ennui, sa sociale democratie se répend.
La France est entrée dans un processus fermé de totalisation, que la mondialisation ne fera que reproduire, à plus grande échelle. Ses standards de vie s’étendent naturellement, et tout ce qui retarde leur extension devra être réduit. L’âge critique est terminé. Les intellectuels français redécouvrent les vertus douceâtres de l’universalisme. La France se prend pour une démocratie exemplaire. La gouvernance se déploie sur le monde. 
3) Tout cela dit, Bellanger peut enfin développer sa Thèse 
L'état français depuis la guerre ne gouvernait pas les citoyens mais la modernité. (Plan calcul à l'éducation nationale, Bull, le Cern, WWW, étude de l'ADN).
Mais quand tout a presque été fait ? C'est l'heure des Messier, des Pinault et Arnauld, du luxe, il ne reste plus qu'à habiller et divertir les Sims.
L'auteur conclut en développant des thèses très ambitieuses et tente de retrouver la source de cette modernité. Il tente une comparaison entre le XVIIème siècle et la modernité. Epoque de renouveau mystique nourrissant des découvertes mathématiques et physiques majeurs.
Spinoza faisait coïncider la plus grande liberté à la compréhension la plus grande du déterminisme La nécessité était devenue une drogue, la prédestination une grâce. Le quiétisme et le jansénisme sont des mystiques de la nécessité. Pascal est le premier adorateur des machines. 
La modernité est un rêve de programmation de prédestination afin de maximiser le bonheur humain. Le mysticisme de la modernité est un désir de paradis qui ne peut accepter les religions. C'est le culte de la singularité technologique.
Dieu n’est pas mort au XX ième siècle, il a changé de nature pour devenir un objet technique.
La modernité est donc une révolution quiètiste ici et maintenant. Paradoxalement cette révolution n'est pas tranquille, c'est le signe de son impatience, agitation merveilleuse car aspiration à la fin de l'histoire.

Pourquoi cette agitation ? Elle veut achever et verrouiller le monde ancien  (Ballanger rejoint les thèses de Muray)


La modernité aura donc été une pensée de la singularité, ou plutôt une passion prolongée et secrète pour la stratégie d’un monstre sans stratégie, dont on rêvait en secret qu’il ressemblasse à Dieu. L’histoire était sacrifiée en offrande aux machines. Tous les systèmes philosophiques du grand siècle s’achèvent sur cette ultime question : Dieu est-il soumis aux vérités mathématiques? La modernité va soumettre cette interrogation à un protocole expérimental irréversible et massif.

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Texte passionnant, très éclairant et pour ma part très convaincant...
On peut voir la modernité comme cette tentative de hâter l'apocalypse. Détruire l'ancien monde, un messianisme technologique détruisant la trace du monde ancien. 
N'est ce pas la tentative de voler ce que Dieu veut donner. (la promesse de la fin de l'histoire,  sa parousie). La modernité n'est elle pas un exemple parfait du péché originel ? La globalisation, le libéralisme (et même le communisme) ne sont ils pas des simples symptômes de ce singularisme technique tant désiré.
Au lieu d'une recherche du royaume de Dieu, nous jouons sur tous les mécanismes de la violence. La modernité comme la précipitation diabolique de l'apocalypse, d'une fin de l'histoire fantasmée et rêvée.

Mais... Aurons nous assez d'énergie ? cette guerre avec les robots existe-t-elle ? Est elle le symbole de notre perte d'humanité. Peut-elle tenir ? Notre crise actuelle n'est elle pas aussi une fissure dans ce grand rêve ?

Bref, je n'ai pas fini de penser à ce texte que je vous encourage à lire...


De mon coté, j'espère lire (mais pas tout de suite) le premier roman du monsieur...

En attendant il y a aussi cet interview à l'époque où il écrivait son premier livre sur Houellebecq.




Pour la bonne bouche, un bonus éclairant sur la grande époque moderniste française.

Gérard Théry : "Steve Jobs s'est largement... par economiematin

jeudi 6 septembre 2012

Noces des journalistes et politiques - échange et féminité

Je conseille vivement cet article  paru sur le site causeur.
L'auteur se fait appeler "noix vomique"... Pourquoi pas.

Certes, c'est un article d'actualité...
Certes c'est un article polémique....
Mais il y a plus que cela.

L'auteur donne d'abord quantité d'exemples d'une situation étonnante dans le milieu politique français : L'abondance de couple politico-médiatique.

Certes, on pourra arguer que c'est une minorité de couples dans ces milieux mais malgré tout l'article aborde ce sujet très contemporain sous un angle original. Il est flou sur certains détails mais c'est son objectif qui importe et je crois qu'il éclaire là un symptôme moderne.

Que dit il donc ?
L'auteur se demande pourquoi cette attirance entre les hommes politiques et les femmes journalistes à notre époque ?

L'auteur pense trouver la raison profonde dans l'anthropologie : l'étude des clans, des structures de parenté et de l'échange des femmes.

Les clans, car la politique est une affaire de clan. L'exemple du parti socialiste français avec son "tonton" et les promotions actuels est assez clair.
Les structures de parenté, l'auteur distingue une exogamie factice de la part de notre milieu politico médiatique. Les hommes politiques (monde essentiellement d'hommes..) se marient avec les femmes journalistes (féminisation importante de la profession). Deux mondes bien proche en pensée et en formation.

Pour Levy Strauss, à partir de son étude des peuples primitifs, montre que la base de ses structures de parenté est l'échange des femmes. Comment les femmes d'un groupe sont perçues et comment sont elles échangées et avec qui ? (Emmanuel Todd tient ces questions en haute importance dans son analyse démographique...).

La femme, tout comme peuvent l'être les passe-droits et le prestige est la monnaie d'échanges entre deux groupes se rapprochant. Épouser une femme, cela peut être soumettre le monde de l'épouse que donner des prérogatives à celui-ci. Pour l'auteur, c'est bien ce qui se passe aussi en France dans le monde politique, pour preuve :  les subventions énormes pour les principaux journaux ne vendant plus assez.

Deux groupes, deux sexes différents mais deux mondes ayant fait les mêmes études, écoles et ayant plus ou moins la même pensée.
Le discours et le compte-rendu, le pouvoir et la fascination du pouvoir, la création et l’interprétation. Tel est ce mariage.

L'auteur semble nous dire que le grand prêtre de ce mariage (et le père de la mariée ?) est le banquier. 
La conclusion est féroce : Quand il y a féminisation d'un métier, les structures anthropologiques élémentaires rentrent en jeu, il y a perte d'indépendance vis à vis des pouvoirs réels("elle servent la soupe aux politiques"). Connivence ? Non, une certaine logique légitime du mariage. Fausse subversion journalistique pour un mariage passionnelle entre la politique et les médias. L'argent bénit le tout. Et nos médias sont en crise et ne peuvent (presque) plus se permettre d'être de véritables contre-pouvoirs.



La féminisation est un sujet que Zemmour aborde de temps en temps aussi. 
Plusieurs questions viennent. Se méfier de la féminisation à outrance d'un métier n'est il pas légitime ?  Comme il l'est aussi de s’inquiéter des symptômes de dépendance de nos principaux quotidiens.

Peut on nier la dimension d'échange entre les femmes et les hommes ? 
Chesterton, dans son "Le monde comme il ne va pas", analyse le féminisme comme une rémission des femmes aux valeurs masculines. Ce qui peut paraître une résistance et une lutte pour des droits se transforme en un déchaînement des puissances masculines. Libéralisme sexuel (Houellebecq), libéralisme économique (Soral). 
La perception féministe de la féminité comme subordination est cruellement présente quand on pensait s'en éloigner...  L'article de causeur nous en donne un exemple cruel dans un monde où la pensée féministe est comme acquise.
De ce fait, l'arrivée en force des quotas devraient nous inquiéter. Qui pose la question de la relation complexe entre les hommes et les femmes dans ce débat ? Pourquoi n'est ce plus possible ?
Qu'aurons nous à échanger si nous devenons rivaux en tout?
Cet article pose la question de l'amour tout de même ? Est ce une ruse ? Comment percevoir la différence sexuelle sans naïveté, ni cynisme ?

Ce blog est aussi fait pour se poser ces questions.