samedi 15 octobre 2016

Cassiodore et Boece par Benoit XVI.

Cette interview de François Taillandier sur sa dernière série de livre est intéressante, c'est une invitation à plonger aux racines historiques de notre monde, le démantèlement de l'empire romain. La confrontation d'un empire en destruction et l'arrivée massive de nouveaux peuples puissants. Il invite à une connaissance approfondie de la vie de ces hommes de leurs questions tragiques, de leur point de vue sur la vie.
Cette Europe du V au Xe siècle nous est tout à fait inconnue. Nous avons là une boite noire que nous ne voulons pas trop regarder, les questions y sont passionnantes. Il n'y a pas de siècle où les questions des hommes et la manière de voir l'histoire et leur "théologie" soit essentielles.
Taillandier parle de deux témoins de cette époque Boèce et Cassiodore. Il y évoque aussi une conférence de Benoit XVI. je l'ai retrouvé ici.

Qu'y dit il ? Il présent ce deux auteurs.
Il présente Boèce (480-524) comme témoin de la fin de l'empire, et homme voulant propager la culture gréco-latine chez les nouveaux maitres "barbares", dire la foi chrétienne dans le langage greco-latin. Il serait le dernier sage de l'antiquité et premier homme du Moyen-Age. Honnête homme politique et complet. Il fut malgré tout condamné à mort pour délit d'opinion par Théodoric. Il écrira en prison "la consolation de la philosophie " où il en appelle à la sagesse, à la découverte des vrais biens contre la mondanité, à découvrir l'espérance, le dialogue avec Celui qui sauve et se souvenir des grands auteurs.
La philosophie est recherche de sagesse et découverte du bonheur dans sa propre intériorité. La prospérité peut être mensongère, la mauvaise fortune est tamis des rapports humains authentiques. Lisons tous les événements avec espérance. Recherchons des vertus et ayons la certitude de la présence du juge qui voit dans le secret et qui sait.
Boèce, martyr de la foi et porte d'entrée pour la contemplation du Christ ressuscité selon Benoit XVI.



Cassiodore 485-580, était un homme engagé dans la politique et la transmission culturelle. Il ne veut pas laisser tomber dans l'oubli le meilleur du patrimoine culturel humaniste de l'empire romain dont il a la conscience de la mort et de sa disparition définitive. Il travaille avec les nouveaux venus, tente toutes les rencontres culturelles et de dialogue. Il n'a pas réussi à créer la synthèse de la tradition romano-chrétienne d'Italie et de la nouvelle culture Gothique mais il était convaincu du caractère providentiel du mouvement monastique auquel il a consacré toute la fin de sa vie. Il fonda le Vivarium pour conserver les grandes œuvres. Recherche d'équilibre entre la prière, le travail intellectuel, la charité, la vie sacramentelle et paroissial.
Lucidité sur les sollicitations du monde et de ses attraits, importance de la préservation de la rectitude de la foi.
Benoit XVI finit par dire :
Nous vivons nous aussi à une époque de rencontre des cultures, du danger de la violence qui détruit les cultures, et de l'engagement nécessaire de transmettre les grandes valeurs et d'enseigner aux nouvelles générations la voie de la réconciliation et de la paix. Nous trouvons cette voie en nous orientant vers le Dieu au visage humain, le Dieu  qui s'est révélé à nous dans le Christ.

Par bien des aspects, ce texte, écrit la même année, peut être relié au discours des bernardins. En revenir à la recherche de Dieu quand tout semble menacé.

Sur cette époque, il faut écouter aussi Michel Rouche sur la violence archaïque de cette époque, comment le levain chrétien se retrouve dans une pâte différente et difficile à contaminer.





mardi 4 octobre 2016

Construire sa personnalité. Les quatre vertus par Pascal Ide


Je ne connais peut-être pas de couverture plus laide et de titre plus ronflant pour un livre qui se démarque par sa justesse et son esprit de synthèse....
Soit...
Je reste malgré tout rempli de gratitude envers le père Pascal Ide pour cet exercice de présentation des quatre vertus cardinales, trop peu enseignées et révélées. J'ai découvert quatre amies que j'ai trop ignorées et ou mal traitées.
Ce fut pour moi une découverte incessante et urgente. A méditer sans fin pour une sagesse propre à chacun. Petite prise de notes en dessous qui ne doit être qu'invitation, à aller vers la source.


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L'homme est malléable et non immédiat et il est fait pour le bonheur par une vocation relationnelle. C'est sa grande quête qu'il doit mener avec ses blessures.
Les vertus ont un rôle curatif, c'est l'éducation par la maitrise de soi. Ce sont des dispositions stables acquise par répétition à poser des opérations bonnes, facilement, agréablement et sans erreur. Une volonté difficile transformée en habitude.
Elles créent une bonté effective et non affective.
On résume brièvement Intelligence pratique : la prudence
affectivité volontaire : la justice
Les deux affectivités sensibles, l'irascibilité contre la force
la concupiscence contre la tempérance
St Augustin : La vertu n'est rien d'autre que l'amour de ce que l'on doit aimer. Le choix de ce bien définit la prudence; n'en être détourné par aucune peine, c'est de la force ; n'en être distrait par aucun plaisir, c'est de la tempérance, par aucun orgueil, c'est de la justice.
La vertu est l'image de la beauté de l'homme intérieure. Le but est l'harmonie intérieure. Et cette bonté séduit. Le corps et tout l'être est habité par cette lumière vertueuse. La beauté est à acquérir.



I La prudence

Ajustement aux fins, intelligence pratique. La conscience n'est pas d'abord une lumière mais un œil qui demande lumière.
Prise en compte de l'universel, du particulier, du personnel.
Dans une décision, il y a plusieurs actes : vouloir, intention, conseil, choix, commandement, exécution, porter du fruit.
La prudence est l'intimation à l'action. Avoir de la continuité dans l'effort. Persévérer, pas de procrastination et de crainte de la première fatigue. Obstination aimable.
Prudence est la clé de voute. Toutes les vertus sont connectées entre elle. Elles sont dynamiques. Il faut les cultiver toutes ensemble.
défauts contraire à la prudence : précipitation, imprévoyance, désorganisation, sans coordination.

II La justice

Justice : volonté constante de rendre à chacun ce qui lui est du mais aussi l'art de régler nos relations avec autrui.
Elle implique la reconnaissance de ce que nous devons à autrui, sens de la dette et de la gratuité.
Initiation à la complexité du jugement

III Courage

Avec la tempérance Ce qui nous rend maître de nous-mêmes. Comment équiper notre intelligence et notre justice de notre affectivité sensible. D'abord ne pas se laisser vaincre par la difficulté, le libérer de la crainte, exorciser les lâchetés. Franchissement des difficultés qui sont nos peurs.
A quoi s'affronte le courage ? Dominer nos craintes pour atteindre nos objectifs.
Saisir les quantités de petites morts. Saisir les échecs qui sont autant d'occasions pour exercer notre courage. Regarder ses failles en face. Faire face au jour le jour.
Audace ! La combativité s'éduque. Sans figure paternelle il y a un risque de donner des affectifs mous incapable de supporter le stress. L'enfant a besoin d'affronter des difficultés et des obstacles.
Il faut aussi combattre la peur d'autrui. Les risques de relation conflictuelle ou confusionelle. Recherche du "communionel".
La force est l'intégration des affects.
Humilité : accepter les dons que le roi bien aimé nous a fait. Il est vertueux de rechercher une profession à la mesure de ses compétences.
Force comme juste milieu. Environnement humain ne doit ni être de terreur ni être édulcoré.
Peur et douleur sont signal d'alarme. l'insensibilisation rend la personne inhumaine.
Toujours voir l'objectif du bonheur au risque de ne garder que la technicité des vertus.
Bible violente. Dieu prend l'évolution de l'homme. Dieu et sa loi présente sur tout le chemin. Pas de gradualité dans l'éthique mais dans la manière dont nous arrivons à le vivre...
Chacune de nos vies a aussi un ancien testament. Nous n'avons jamais fini de nous humaniser.
Accepter la progressivité, apprendre à aimer la faillibilité. Apprendre le regard positif sur l'évolution des personnes. L'une des causes de blocage est que les autres ne nous voient pas avancer. Émerveillons nous face au mystère de la personne.

IV Tempérance
Nous faire vivre le plaisir de manière libératrice, mesurons nos ardeurs.
Guitton : est obscène tout ce qui rompt sa relation avec sa finalité ultime, Dieu. Impudique ce qui perd sens.
Elle se traduit par la chasteté, la modération à table, studiosité (attention conduisant à l'amour)
Premier secret de la vie étudiante est dans la hauteur de la motivation et donc dans le poids d'amour que donnera la studiosité pour appliquer l'esprit et son travail. Motivation à entretenir. La fin est la raison d'être de chaque chose. Besoin de la pureté d'intention. Intellectuel est désintéressement dans la recherche, humilité et effacement dans la possession. (courage de dire que nous ne savons pas ou que nous doutons, humilité, le partage intellectuel ne me fait rien perdre.
Résumé: nous allons de l'intention (la motivation de la volonté) à l'intuition (le travail intellectuel) par la nécessaire médiation de l'attention (la vertu de studiosité). Studiosité est juste milieu entre curiosité et paresse intellectuelle.
La douceur se voit par colère bien réglée. Inhibés sont remplis de tempête
Sobriété, jeune, rendre gloire à la beauté

Conclusion : tout cela est parfait mais n'est pas suffisant.
Que sont les vertus théologales ?
intelligence, vérités saisies sous une lumière divine : foi
Mouvement d'intention qui tend vers cette fin : espérance tendre vers un bien ardu
volonté transformée par union spirituelle, charité

lundi 27 juin 2016

Deux Woody Allen méconnus - Deux conversions de femme

Coup sur coup, j'ai vu deux films de Woody Allen. Ils sont très rapprochés dans la filmographie du cinéaste et témoignent d'une profonde unité d'inspiration du cinéaste tout en montrant la  "schizophrénie" formelle de l'auteur.

Broadway Danny Rose 1984 (BDR)
Afficher l'image d'origineNew York, début 80,  dans un petit bouiboui,  des artistes de music-hall, se donnent quelques conseils et évoquent soudainement un agent d'artistes (Danny Rose joué par Woody Allen) fantasques, attachant et tirant le diable par la queue (comme eux tous). Cette évocation sera le sujet du film. L'histoire est folle en effet. Danny Rose s'occupe d'un chanteur de variété d'origine italienne qui eut un peu de succès 15 ans auparavant. Il tente de le remonter malgré ses crises, son romantisme, son alcoolisme et le fait qu'il soit ingérable. Un concert est organisé sous peu, c'est l'occasion pour lui de remonter la pente. Mais patatra, son amante l'a croisé avec sa femme et lui fait une scène. Nous allons voir tous les efforts de Danny pour ramener cette femme (Tina) au concert sachant que son absence provoquerait une crise d'alcoolisme de son poulain au pire moment. Cette recherche de cette blonde sexy, malheureuse et autoritaire se passera au milieu de quiproquo et de malentendus. Pris par son petit copain par des mafieux italiens où elle passe une journée festive, ils seront pourchassés, menacés, ligotés, mais tout finira bien puisque Tina assistera au concert et le chanteur fera un succès qui relancera sa carrière. Mais cette Tina préparait le changement d'agent pour Lou. Danny retourne avec ses artistes minables et fidèles. Tina vivra avec son chanteur avant de tenter de retourner avec Danny qui lui manque sans qu'elle ne puisse véritablement le comprendre. Danny pardonnera. Les artistes que nous avions vu au départ porte un toaste à Danny n'a t-il pas un sandwich à son nom dans ce restaurant...

Une autre femme 1988
Afficher l'image d'origineUne femme, la cinquantaine, professeur de philo, mariée, une belle-fille. Elle est heureuse de sa vie (C'est ce qu'elle nous raconte au départ). Elle écrit un nouveau livre et travaille dans un petit appartement jouxtant un psychologue. Elle entend soudain des bribes de conversation. En particulier d'une jeune femme enceinte. Elle tente d'étouffer le son mais n'y arrive plus. Cet événement coïncide avec (ou provoque) la dure réalisation de l'échec de sa vie, de ses mariages, de ses amours, de ses relations avec sa famille et ses amis. Elle était une autre femme qu'elle-même, elle avait bâti sa vie sur des mensonges. Elle part refaire sa vie, réparer ce qui l'est encore et pleurer avec miséricorde sur les moments qui auraient pu tout changer mais qui ne reviendront pas.

Forme : Music Hall vs Gymnopédies de Satie

BDR suit la trace du music Hall, de ses humoristes, des ses chanteurs minables, de ses succès faciles, de ses ratés, de ses ficelles, de ses petits bouibouis, de sa sociologie populaire, grassouillette, en paillette. Le noir et blanc du film surprend mais relève la noirceur d'un monde qui se voudrait, lui, plus coloré. Il y a aussi ses italiens haut en couleur, pseudo mafieux, rivalitaires, aimant la vendetta et les voyantes catholiques (pseudo Marthe Robin que Tina voit régulièrement). Tout est too much comme le music hall que revendique le film et que Woody Allen a côtoyé. Hommage et lucidité. Ce film est too much. L'histoire aussi est too much. La bêtise et la roublardise de notre chanteur est too much, les artistes ratées de Danny sont over ratés. Tina par sa méchanceté et son accoutrement est too much.

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Dans Une autre femme. Tout est subtil. Les gymnopédies de Satie rythme le film. Pour celui-ci, il a demandé le service du directeur de la photographie de Bergman. Nous retrouvons la pureté de l'image, les traits fins, les couleurs douces. Le beige domine allègrement les plans, il y a de la verdure et des photos vivantes de toutes beautés. Le beau et le subtil domine chaque plan. Il n'y a pas un plan, un dialogue en trop. Tout accompagne le sens du film. Nous sommes tenu en haleine par une intrigue très fine mais intense à chaque moment. Un rayon laser, là où BDR explosait dans tous les sens. Le milieu social intellectuel et bourgeois tranche aussi avec le premier film.

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Fond : Unité dans la vérité déchirante menant à la miséricorde
La forme diamétralement opposé des deux films n’empêche pas une unité fantastique basée sur une sagesse humaine et chrétienne en dernier lieu selon moi.
Dans BDR, si Danny Rose semble le héros du film par sa position dans l'histoire, la véritable héroïne est Tina. Le chanteur Lou est fou d'elle et lui envoie pratiquement tous les jours une rose blanche facturée au nom de Danny. Quand nous la rencontrons la première fois, nous voyons une blonde à forte poitrine détestable et rugissant comme un dragon parce qu' elle a vu son homme au bras de sa femme. Nous découvrons une Tina insupportable, irritable, irritante, superstitieuse, adepte du struggle for life, Pas de culpabilisation, il y a aucun intérêt à vivre comme un boy scout. Profites de tout (surtout de la faiblesse des autres tant que tu peux), bas toi, rien n'est donné, ne donne rien.
"Ma philosophie, c'est, cela ne dure pas longtemps, alors profites en, si tu veux quelque-chose, fonce. Fais pas attention aux autres et lâche les avant qu'ils te lâchent."
Il y aura ensuite la trahison de Tina et Lou. Mais nous verrons une Tina malheureuse, en pleine confusion qui reviendra auprès de Danny Rose chez qui elle a senti une vérité humaine. Il hésite, elle lui rappelle son dicton de son grand oncle "accepter, pardonner, aimer". La personne se transformant est bien Tina, mais sa transformation est due à Dany Rose. Le looser n'est pas celui que l'on croit, celui qui prend soin de l'humanité blessée, qui s'intéresse et soutient le malheureux, l'original, le décalé et qui a force se pose en décalage face à une société où il ne peut y avoir que succès, écrasement, force et rivalité. Son repas de Thanksgiving est le modèle de sa vie avec ses artistes ratés. Mais il est dans l'action de grâce des vies minuscules, des gens de la common decency. La conversion de Tina passe par cette contemplation.
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Dans "Une autre femme", tout est significatif, le son, l'image, les rencontres font de ce film un petit bijou de sens que l'on peut rapprocher de BDR malgré leurs grandes différences de forme. Nous rencontrons une femmes fière d'elle-même, ayant bâti une carrière universitaire philosophique brillante et d'auteur. Sa fierté est grande pourtant lors de l'écriture d'un livre, les paroles d'une femme en visite chez un psychologue s'insinuent dans le lieu où elle travaille. Elle veut fermer ses fissures, mais n'y arrive plus et écoute cette femme. Cette femme, parle de la déchirure en elle et de son malheur identitaire. Sans en rendre compte, la crise identitaire de cette femme (enceinte) sera la sienne. Elle fera un plongeon dans ses souvenirs par quelques rencontres, quelques relectures. Un travail de mémoire que certains pourraient appeler psychologique (et c'est probablement cette démarche que souhaite illustrer Allen...)Nous nous rendons compte avec elle que sa relation avec son père, son frère, sa belle-fille, son ancien mari, l'homme par qui elle est séduite, son ancienne meilleure amie sont faussées. Le film montre sa prise de conscience de ce que toute sa subjectivité ne lui avait pas permis de saisir sur son manque d'amour, ses manipulations, son égoïsme, comment elle avait partagé l'égoïsme de son père, été aveugle sur le malheur de sa mère, comment ses relations avec son ancienne meilleure amie était marquée par la rivalité. Non, elle n'a pas aimé et toute sa vie est un désastre qui lui saute aux yeux désormais, ses livres et sa carrière furent destructeur de vie, de relation et amour manqué. Il n'y a plus rien que l'espoir porteur de fécondité, pour des relations nouvelles sous le signe du pardon, de l'écoute et de l'acceptation. Pour une vie qui ne laisse plus place à une foire aux vanités inconscientes mais retrouver la réalité dans la relation aux plus proches.Afficher l'image d'origine

Peut-être que le lien entre les deux films parait plus évident. Je crois que nous pouvons voir cette sagesse dans d'autres films de Allen, l'observation de la vanité du monde et la foi que le monde appartient à ceux qui ne jouent pas ou plus le jeu de celui-ci, par prise de conscience ou même par faiblesse. 
Heureux les pauvres d'esprit, le royaume de Dieu est à eux.
Que ce soit par l'ôde au looser (Broadway Danny Rose) ou la conversion intérieure d'une femme faisant face à sa vanité. (Another women)




A noter aussi :
BDR
Barney Dunn, le malheur du monde
Tina et Danny s'échappant des liens par le contact des corps, une sexualité retrouvée ?
La course poursuite avec hélium
Les super héros
Les spectacles de Music Hall
La fête italienne, la rivalité anti monétaire, la madre et son fils sensible
décoratrice d'intérieur
la pseudo Marthe Robin italo americaine.

Another Woman
Bach et les souvenir de jeunesse
l'amour sur le parquet
La scène de l'ancienne femme
Pardonne moi si j'ai fait quelque chose de mal
La coiffure
La panthère
La scène du théâtre
La conversation avec son premier mari
La couleur beige et chaude du film
Le film est un  petit bijou esthétique et symbolique
La voix de la conscience que l'on arrive plus à bloquer par les coussins

jeudi 9 juin 2016

Felix Mendelssohn

Afficher l'image d'origineJe trouve que Mendelssohn a une place particulière dans la musique classique. Il est une star, nous avons tous entendu son nom, il est diffusé sans cesse, il possède quelques tubes, mais on le saisit assez peu. Nous avons du mal à le décrire.
Sa vie aussi est particulière. Enfant prodige, à 12 ans, il traduit du latin et publie ses traductions au même age. Goethe admire ses talents, il peint admirablement, il chante tout aussi bien. Son père est un riche banquier vivant à Berlin au cœur de la vie culturelle et mondaine, c'est l'époque de Hegel, de Heine (et de Clausewitz...).  Il reçoit une éducation soignée. Jeune homme, à vingt ans, il est le premier chef d'orchestre à jouer du Bach depuis la mort de celui-ci (cela fait 80 ans...) Il se passionne pour Haendel. Il admire Schubert, il voyage en Italie, en Angleterre, en France. Il croise Chopin, Liszt, Berlioz, Rossini.... C'est un brillant étudiant en sciences humaines, philologie, philosophie, géographie, zoologie. Ses œuvres le rendent célèbres, il est nommé par le roi de Prusse pour organiser la vie musicale.. Il est célèbre, heureux avec son épouse et leurs cinq enfants.

Que croit cet homme, en quoi pense t- il ? Je ne sais pas trop. Cela m'intéresserait de le savoir... Était il Hegelien, Clausewitzien, romantique, nostalgique de l'age baroque ? Romantique ? Classique ? Je le sens à la frontière et déchiré. Ses chorales sont incroyablement proche de Bach mais en même temps, on sent un ajout romantique dans ses harmonies sereines et sobre.
Il est déchiré entre la foi juive et protestante. Son grand père Moses Mendelssohn est le théoricien du judaïsme réformé, "des lumières" et aura une influence considérable dans le judaisme européen. Son père l'éduquera sans religion avant lui-même de se convertir et d'emmener Felix dans une foi chrétienne sincère et forte comme le signale les oratorios Paulus, Elijah, les psaumes ou encore la symphonie n°2. 
Déchiré aussi par la dépression, comme lors de la mort de son père et surtout celle de sa soeur Fanny, amie, âme sœur et compositrice elle aussi. Dépression qui sera suivi (conséquence ?) de sa mort par apoplexie à 38 ans en 1949. Cette annonce attriste toute l'Europe.
Cet article pense que cet âme trop pure, trop successful, trop bénie des dieux n'étaient pas prêtes pour le malheur. J'ai l'intuition que c'est un grave malentendu. Cet homme a connu l'humiliation napoléonienne, une éducation très stricte et prête à toutes les guerres et les combats de l'intelligence. Il est au cœur du combat entre religion et philosophie, il doit voir la montée en puissance de la Prusse revancharde. Non Mendelssohn n'est pas un ange descendu des cieux, comme tout génie, (et même le génie de la clarté musicale) est marquée par l'ambivalence de la vie, de son bonheur, de sa tragédie et sa sensibilité (confirmé par Thierry Escaich parlant du paradoxe entre la clarté des mélodies de Mendelssohn et sa récurrente dépression). Il y a des gouffres. Sa capacité d'être "mozartien" comme disent beaucoup (traduire par capable d'être guilleret dans ce monde de douleur) est en fait un compliment dont ceux qui l'énoncent ne voient guère. C'est l'homme capable de dire la beauté transcendante du moment présent. Trop parfait ? N'entendez vous pas les gouffres de cette musique si majestueusement construite et si efficace sensoriellement ? Cet homme ne jouait il pas au bras de fer permanent avec le mal... Ne fut il pas mort d'avoir trop combattu ?

A écouter.
Chansons sans paroles.

Elijah

Paulus

Lobesgang 

Lauda Sion

Octuor




Et encore tant à découvrir

mercredi 25 mai 2016

A la recherche de l'identité harmonieuse avec Olivier Rey

Très belle conférence (encore) d'Olivier Rey dans le cadre ce que doit être une rencontre de rencontres d'idées et de formation du mouvement "Avant Garde" animé par Charles Millon et Jacques de Guillebon. Ce mouvement se classe à droite de l'échiquier politique française. Cette conférence me semble pourtant universelle mais touche des sujets plus difficilement touchés à gauche. On reconnaît dans le ton de la conférence que Rey est imbibé de René Girard. Il ne sera cité que dans les questions réponses (que je vous invite à écouter aussi.) 



Cette conférence me semble très forte. Elle est à discuter mais me semble un préalable à toute conversation sérieuse sur la politique. 
Le passage de la communauté à la société est le grand mouvement de notre temps. Au cœur de cette modification, se pose la question de la reconnaissance personnelle. Le confort des sociétés anciennes a été troqué par le confort de l'individu pour notre plus grand bienfait et notre plus grand risque. La perte de la communauté fait de nous des hommes en manque de reconnaissance. Cette chose toute simple transforme les sociétés humaines, leur propre perception, complique toute relation humaine et politique. Faisons le constat de la déliquescence de la politique qui découle du premier constat. N'ayons pas peur, toute lucidité, nous rapproche de la vie bonne à atteindre et de la bonne prière.
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La question de l'harmonie ne se poserait pas si elle était trouvée ou existante. Comprenons ce qui fait obstacle à cette identité harmonieuse et aux questions politiques qui y sont associées.

I Le désir de reconnaissance blessée
Hegel annonce en 1807 que le désir de reconnaissance est ce qu'il y a de plus nécessaire. Pourquoi, fallut il attendre cette date pour le reconnaître ? Car à cette date ce désir se révèle quand les moyens traditionnels de le satisfaire s'en vont. Ils se dérobent avec la société moderne, sociétés d'individus.
Afficher l'image d'origineIndividu ? C'est ce qu'on ne peut découper. C'est l'atome de la société. Mais au XVIIe siècle, le sens est retourné. On part d'un emploi de solidarité à une situation où il est le point de départ duquel toutes institutions humaines se constituent. Nous sommes passés d'une situation ou "je" était le singulier du "nous" à celle où "nous" est le pluriel du "je". D'une situation où l'affirmation du "je" était difficile à une situation où le "nous" est difficile. C'est un bouleversement dans la vision de la chose collective.
Exemple du mot société qui a pour origine le sens de ce qui naît d'un contrat et qui le demeurera jusqu'à l'époque moderne où nous concevons le monde humain comme une société.  Ce ne sont pas les humains qui reçoivent une société humaine. Celle ci naît que de décisions humaines. La société se pense qu'en terme contractuelle ou utilitaire. Nous avons extraits donc l'individu des communautés anciennes.
Ce passage est un événement essentiel de notre histoire nous pouvons voir deux étapes essentielles de ce passage. La révolution industrielle et révolution politique.
Ce sont des dynamiteurs des communautés, une fois défaites les communautés ont déversé dans le monde des millions d'hommes désaffiliés, individus appelés à composer les grandes sociétés modernes où la solidarité n'est plus entre personnes qui se connaissent et se reconnaissent mais où l'interdépendance est médiatisé par la division du travail et le mécanisme de marché.

L'ordre social est l'amalgame des comportements des individus confiés à eux-mêmes et poursuivant leurs intérêt. Dans l'optique républicaine, l'ordre social résulte d'un ordre politique exprimant une volonté commune. Mais même dans l'optique républicaine, le fondement n'en demeure pas moins individualiste à l’extrême. La volonté des nations est le résultat de volontés individuelles. La révolution française est le symbole de cette transformation. Il n'y a plus que l’intérêt particulier et l’intérêt national. L’État hypertrophié et l'individu isolé vont de pair. Besoins substantiels partagés.
Les individus gagnent en liberté de mouvement, d'initiative et de choix.
Ce qu'ils perdent est moins évident mais font sentir leurs effets à terme. C'est la perte du minimum garanti de reconnaissance qu'offrait à chacun la vie communautaire. La non-reconnaissance domine. Hegel a saisi la loi générale quand le mouvement en son origine historique s'initiait, ce qui ne l'a pas empêché de chasser la gloire dans la grande ville, Berlin, et profiter de la concentration capitalistique de la reconnaissance.


II Comment trouver cette reconnaissance dans la société moderne ?
Après ces bouleversements la question se pose, comment faire du un ? ce qui marche mieux est la désignation d'un petit groupe à la vindicte populaire. La France révolutionnaire par exemple avait des besoins urgents d'ennemis intérieurs et extérieurs. C'est la situation de toute nation moderne.
Afficher l'image d'origine
Ce n'est pas l'idée nationale qui est en cause mais la place exorbitante que cette idée a trouvé dans le cerveau de masse d'individus déracinés. Le nationalisme agressif s'est développé en tant que palliatif a une vie profondément insatisfaisante, inharmonieuse et n'a eu que quelques compensation en interne par le report d’agressivité en externe avec guerres. Ces guerres ont signalé le vice de constitution de ces nations. On devrait comprendre que le vice en question ne tient pas à l'existence de pays, de frontières, de limites, mais à des limites posées au mauvais endroit et en trop petit nombre. Exemple d'Auguste Comte, qu'Oliver Rey promeut, rêvant d'une Europe de petits territoires. Ces pays permettaient une véritable médiation entre l'individu et l'humanité. Une patrie trop grande est obnubilé par son rang. On se trompe sur les conclusions des grandes guerres. Le mal seraient que les nations soient divisées. Non, il n'y avait pas assez de frontières. Certes, l'augmentation des nations peut multiplier les guerres mais seulement des petites guerres. Nous vivons l'inverse. Les grandes nations apportent des grandes guerres.
Pour l'économie aussi, la taille augmente la productivité, mais les économistes ne voient pas l'incapacité du système économique à répondre au besoin de reconnaissance. A part quelques individus, il n'y a plus qu'une masse indistincte.

Succès des "identités"
Auparavant, l'identité est ce qui ne change pas dans la ligne du temps, cela s'est transformé en sentiment d'appartenance puis est apparu le phénomène identitaire. On peut ainsi se reconnaître dans un monde où le commun des mortels a si peu le sentiment d'exister.
Une autre solution est de se battre avec les "minorités". Ainsi en cachant sa prétention et sa haine de soi nécessaire à cet occasion, on peut prétendre se différencier.
Ce désespoir face à soi-même se développe quand les diverses frontières se dissolvent pour verser toujours plus de populations dans un magma indistinct.

III Dissolution politique
La dissolution politique accompagne la dissolution des peuples celle ci se montre par un magma indifférencié.
Après avoir vu une différence de taille entre l'origine de la démocratie américaine et française par Arendt (La révolution française a conduit le peuple a remplacé le roi, la démocratie fût décrétée du haut, injonction paradoxale. La révolution américaine proposait de tout commencer par la base de la commune) Olivier Rey note ce qui a fait dévier les démocraties actuelles.
La perte de maîtrise des outils de production nécessitant des investissement grandissant. Une communauté perd de ce qu'elle est quand elle ne les maitrise plus. Passé un stade de développement, la technique délocalise et sape les conditions d'une vie locale dans laquelle s'ancre toute véritable démocratie.

Ensuite, il faut voir comment le manque de reconnaissance est le carburant du moteur économique. La reconnaissance par les anciens modes de sociabilité ont été changé par la reconnaissance par la consommation. Veblen verra rapidement le rôle de la consommation dans les catégories riches de l’Amérique industrielle. La consommation ostentatoire prend son envol. La baisse des couts de production permets au plus grand nombre d'entrer dans cette catégorie. Le grand moteur de l'économie tient en une phrase : Keeping up with Joneses ! (Ne pas se laisser distancer par les Dupont). Mais avec le dynamitage des liens sociaux et la télévision, le Jones qui était notre voisin devient le beautifull people des médias.
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La souffrance des personnes n'est pas un "à coté" malheureux, elle est le principal carburant.

Face à ces deux situations, un dirigeant de bonne volonté est placé dans une injonction contradictoire :
Rompre avec dynamique nocive conduisant à la catastrophe ou composer avec cette dynamique car s'en extraire est impossible et y réussir est dangereux car on se met à la merci de ses voisins qui resteraient dans la dynamique actuelle.
Conclusion
Nous vivons un paradoxe, la nation est la seule structure politique qui nous reste pour faire de la politique alors qu'elle a été l'acteur de la dégénérescence de la politique.
Acceptons le réel malgré tout. Il nous voue à la disharmonie. Faisons face à l'adversité. N'ayons pas peur des paradoxes et sachons tenir des idées opposées sans les casser. 
Par exemple, voyons que les choses sont sans espoir mais avec la résolution de les changer....
Nous entrons dans une époque de turbulence. Tout sera possible.
Ne cultivons pas la tristesse ni la passivité mais plutôt les vertus et les capacités qui grâce aux ciel trouveront à s'employer.
Continuons d'adhérer de toute notre force à ce que nous croyons bon et qui avec l'aide du ciel trouvera une solution !

N'est ce pas aussi ma prière ! En tout cas, je la fais mienne.

jeudi 12 mai 2016

Le discours de Ratisbonne et Achever Clausewitz

Je vous propose de relire le discours de Ratisbonne.
Certains disent que c'était une grave erreur de communication...
Lire ce discours ainsi est le voir par le petit bout de la lorgnette des actualités. René Girard nous invite à relire ce texte dans Achever Clausewitz. J'y vois un accord profond entre les deux hommes (que l'on pouvait voir déjà ici...). Cet accord rejoint aussi Girard dans son étude profonde du catholicisme et de la papauté qui suivra, je l'espère.


-relisons le discours de Ratisbonne
(interlude chestertonienne)
-Lisons la lecture de Girard de ce discours dans Achever Clausewitz.
-Insérons là dans l'étude de la papauté de Girard dans ce même livre (prochaine étape...)



A Souvenirs d'un professeur
Au départ, Benoit XVI évoque des souvenirs.
Il se souvient de l'interdisciplinarité universitaire et ce sens de l'universitas qui était "le sentiment que nous avions à assumer une responsabilité commune dans l'usage correcte de la raison."
Il se souvient de la présence des théologiens dans l'université, leur travail de montrer que la foi s'ordonnait à la raison commune.
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B Illustration de son sujet,
Manuel II paléologue discute avec un savant iranien en 1402.
 La foi peut elle être contrainte ?  (questionnement sur la violence de Mahomet.)
Manuel dit qu'il faut le logos pour propager la foi, que ne pas agir selon la raison contredit la nature de Dieu. Cela semble aller à l'encontre d'autres traditions comme certaines musulmanes où Dieu est tellement transcendants qu'il se joue de la raison humaine et de la parole humaine et au concept humain de vérité.

C L'Europe, lieu de rencontre de deux révélations.
Benoit XVI souhaite montrer l'accord entre la tradition philosophique grecque et la Bible, l'héritage grec purifié appartient à la foi chrétienne. C'est la rencontre nécessaire entre les questions grecques et la foi biblique. Cette rencontre (sans oublier Rome) n'est pas un hasard et le lieu créé en l'occasion pour cette rencontre s'appelle l'Europe.

Cette rencontre a été remise en cause au moyen-Age. Notamment par Duns Scott, l'altérité de Dieu est placée si haut que notre raison, notre sens du vrai et du bien ne sont plus de réels miroirs de Dieu. Certes, Dieu est infiniment grand mais cela ne supprime pas l'analogie. L'amour surpasse la connaissance mais son amour est celui du Dieu-logos.

D Benoit XVI souhaite présenter trois signes de la déshéllenisation

-La Réforme a réagi face au poids de la métaphysique sur la foi, il fallait retourner à l'origine. Kant utilise radicalement cette réaction. Il ancre la foi dans la raison pratique et lui dénie l'accès à la totalité de la réalité.

-La théologie libérale dont Theodor von Harnack est le représentant de la recherche et de la lecture historico-critique. Cette tradition invitait à aller directement à l'amour et au message moral afin de le rendre compatible  avec la raison moderne. Retirer Jésus de la philosophie et de la théologie (divinité du Christ, Trinité). On perçoit l'auto limitation de la raison radicalisée.

Cette conception moderne de la raison est l'alliance d'un cartésianisme (platonisme) et d'un empirisme. Utilisation de la logique interne de la matière alliée avec la fonctionnalité de la nature pour nos intérêts par l'expérience.
La scientificité est réduite à la certitude de l'expérience. Les sciences humaines sont rappelées à l'ordre, sa méthode exclut Dieu. Remettons en question ce rétrécissement.
Les questions de l'origine et de la fin, de la religion et de la morale deviennent non avenus ou au mieux subjectives (plus de formation collective) et l'homme est diminué en cela.  La situation est dangereuse pour lui et nous le constatons, cette situation crée des pathologies de la raison et de la religion ce qui est normal quand religion et morale sont exclus du champs de la raison.

-Troisième déshellenisation est l'inculturation. Faire croire aux autres cultures qu'elles peuvent faire abstraction de l'héritage grecque.
"Bien sur, il  a des couches dans le devenir de l’Église antique qui ne doivent pas entrer dans toutes les cultures. Mais les choix fondamentaux, qui concernent le lien de la foi avec la quête de la raison humaine, appartiennent à cette foi elle-même et sont adaptés à son développement."

E Conclusion
Il faut reconnaitre les grandeurs de la pensée moderne, nous en sommes reconnaissants. Il existe une éthique de la scientificité qui est obéissance à la vérité. Mais élargissons !
Ne nous limitons pas à ce qui est falsifiable. Réintégrons le questionnement de la foi et de la raison.
Cela est la nécessité si nous voulons redevenir capable de dialogue véritable entre culture et religions. Notre exclusion du divin hors de l'universalité de la raison est perçue comme mépris des autres  et une raison sourde au divin est inapte au dialogue.
Il faut revenir à la redécouverte des traditions religieuses comme sources de connaissance. Ne perdons pas le chemin de la vérité de l'être.
L'occident est menacé par le rejet des questions fondamentales
Ayons le courage d'élargir la raison tel est le programme d'une théologie responsable.
C'est dans ce grand logos évoqué par Manuel que nous invitons aussi nos partenaires au dialogue des cultures.

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Chesterton : Dans la première enquête du père Brown, celui-ci démasque un faux prêtre et informe brillamment la police qu'il est en danger. Comment a t il su ? Ce faux prêtre décrédibilisait la rationalité. "Très mauvais théologie" affirmait-il...
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Achever Clausewitz

Dans Achever Clausewitz, René Girard commente longuement le discours de Ratisbonne et lui laisse une place de choix, la toute fin de son dernier chapitre avant son épilogue. Il y voit une confirmation de ses thèses : refus du sacrifice et plaidoyer pour une approche rationnelle du religieux.
Il dit encore que le pape a alors dit ce que doit dire un pape : Après laa guerre de la raison contre la religion, succèderait celle de la religion contre la raison. Il rappelle les valeurs intangibles de l'Europe avant de partir en Turquie. Il confirme les conclusions du pape sur les pathologies  de la raison et de la foi à venir. Le rationalisme et le fidéisme se retrouvent en frères jumeaux.
Nous perdons le grec et donc dans une certaine manière la possibilité d'une théologie rationnelle.
Car au final c'est un religieux qui en affronte un autre.

Voila la guerre qui se profile : la raison théologique contre le rationalisme et le fidéisme ou autrement dit un irrationnel déchainé. La raison érigée en religion est un religieux dévoyé qui déclenche le religieux pathologique. Elle bloque à sa base toute discussion avec l'Islam. Pour éviter tout piège de réciprocité violente, les bases anthropologiques et théologiques sont essentielles dans nos fondations.
Il confirme l'unité grecque et hébraïque de l'origine du Christianisme et sur les ébranlement de la Réforme, de Kant, de la théologie libérale (limitation morale humanitaire et des tenants de la sortie de l'inculturation grecque.)

Invitation à un dialogue respectueux et ferme. Pas un rejet de l'Islam.
Le discours du pape est un bon exemple de la séparation des ordre (raison et foi) et la nécessité de les relier la grâce à une raison élargie.
Ni confondre, ni séparer mais comprendre ensemble.


vendredi 22 avril 2016

Alain Supiot et le travail

Cette vidéo du juriste français (le seul que j'ai trouvé avec Legendre à me faire aimer le droit!)
me fait penser aux enseignements de Pierre-Yves Gomez. Quête du travail réellement humain. Affinité avec Simone Weil, quantification extrême du monde du travail, perspective historique, nécessité pour le droit du travail d'être à la hauteur des révolutions que vivent le travail et conscience des impasses que nous vivons.
En plus de cela, le monsieur est plein d'élégance, donne beaucoup d'exemples et dispose d'une juste virilité de la science acquise, assimilée et proposée...

Depuis quand parle t-on de régime de travail réellement humain ?

L'office international du travail (L'OIT) en parle depuis 1918 au lendemain de la première guerre mondiale.
Il arrive comme un paradoxe car la première guerre mondiale fut l'événement où l'homme fut traité comme du combustible pour alimenter le front ou le marché. Junger l'a vu en premier, les pays produisait de l'armée à la chaîne. Ce mode d'organisation du travail fut généralisée. C'est la mobilisation totale. Contrairement aux guerres anciennes, toute existence de la communauté est convertie à l'énergie pour l'effort de guerre pour tout détruire chez le voisin. Junger l'a vu mais les ingénieurs américains furent les premiers à théoriser ce mode d'organisation. La guerre a vu l'extension des principes d'organisations industrielles développées  sous la forme des principes tayloriens. Ces principes ont trouvé aussi leurs justifications pratiques dans la guerre. Cette manière de penser s'est propagée dans la société entière.
Carl Schmitt théorise l’État total et la mobilisation totale prend aussi la forme d'un marché total. Toute existence est traduite en ressources quantifiées et engagent tous les hommes de toutes les nations du monde dans une guerre économique perpétuelle économique et sans merci. (vocabulaire de management proche du militaire, bataille de compétitivité, repos dominical...)

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Mais la première guerre mondiale apporte aussi L'OIT qui survivra à la Société Des Nations.
Cette organisme dit que la Paix est fondée sur la justice sociale. Il est urgent d'améliorer les conditions et cela ne peut marcher qu’internationalement.
Comment articuler un régime de travail réellement humain dans une époque de massacre unifiée.

I Ce qui doit être humain, c'est le travail.
Supiot tente alors de décrire gràce à Weil ce qu'est le travail humain.
Afficher l'image d'origineDeux limites aux delà desquelles, le travail méconnait la dimension humaine. Déni de la pensée et déni de la réalité.

Déni de la pensée :
Le travail permet à celui qui l’exécute de mettre un part de lui-même. Le travail prend racine dans la représentation mentale.
Inversement, l'homme peut délirer or l'univers du symbole nous permet d'être ailleurs, il faut accorder la représentation mentale et l'univers biologique, le travail est le lieu pour apprendre ce lien, travail pour se découvrir soi même.
Simone Weil le dit, c'est par le travail que la raison saisit le monde même et s'empare de l'imagination folle. On domestique l'imagination. Le travail humain, c'est l'imagination en mouvement.
Déni de pensée quand on pense aligner l'homme à la machine. L'efficacité peut requérir l'homme réduit à la machine. (petite partie pense pour les autres)

Déni de la réalité,  Être en réalité avec l'univers physique car le manipulateur de concept peut être le manipuler de symbole au risque de délirer. Comme dit Cioran, le tête à tête avec l'idée invite au déraisonnement, oblitère le jugement et produit l'illusion de la toute puissance. En vérité, être en prise avec une idée rend insensé, enlève à l'esprit son équilibre et à l'orgueil son calme... Le penseur en train de noircir une page sans destinataire se croit, se sent l'arbitre du monde.
Cette déni peut être celle des financiers, le retour à la réalité est terrible.

De toute façon, prévient Supiot, la folie est toujours latente, la raison une conquête de tous les jours. Les deux dénis peuvent aussi s'allier, le délire scientiste eut nourrir le délire religieux et inversement.

Est inhumain un travail qui ravale le travailleur comme pur instrument des pensées d'autrui ou qui le coupe de la réalité. Le travail est ambivalent, il est maîtrise du monde et soumission au monde. Œuvre et peine.


II Mais le régime d'un travail vraiment humain peut s'entendre différemment. Le travail reste inhumain mais le régime non. Rendre humainement acceptable ce qui ne l'est pas. Supiot pense que c'est le sens des rédacteurs de l'OIT.
Qu'est ce qui est plus mauvais ? Mal payer son ouvrier ou lui donner un travail inhumain ?
On oublie mais Lénine avait pris pour lui le taylorisme et sa vision de l'organisation du travail comme technique.
Cette fascination vient selon Weil d'une application d'une conception de la physique classique. On pensait comprendre et agir sur le monde par la masse et l'énergie. Le travail était d'abord déshumanisé par sa réduction à un état d'énergie mécanique. L'homme comme machine à étudier. Les sciences sociales comme outil de compréhension. Fantasme de l'intelligibilité humaine.

Le compromis fordiste est né aussi de cette idée :
Vous arrêter de penser (il y en a qui le font pour vous) mais en contrepartie, vacances, salaires, retraites, assurance maladie. Ne pensez plus, certains le font pour vous, mais en contrepartie, vous pourrez achetez votre voiture, prendre des vacances et avoir une retraite. (un travail est dit "technique" quand on veut le soustraire à la délibération démocratique.) Cela permet une délimitation de la justice sociale sur la sécurité et sur le salaire mais la direction sur le sens du travail fut limitée.

Le droit du travail a donc tenté de réconcilier deux approches inconciliables. La réification du travail et l'insertion du statut salarial pour protéger de cette réification.
Cela rejoint les travaux de Polanyi disant que le capitalisme a pour propre de traiter la terre, le travail et la monnaie comme des produits qui ne le sont pas car ce sont des choses qui nous possèdent plus que nous ne pourrions les posséder. Ces "possession" se retournent contre nous. Pollution, perte de sens et crise économique. Le droit du travail par exemple a rendu possible et rendu humainement vivable l'existence d'un marché du travail. Mais peut on se différencier de soi-même ?


III Nous vivons actuellement la destruction du compromis fordiste. 
Deux raisons
-Raisons politiques
Après la chute du communisme et le développement de la circulation des capitaux, les législations fiscales et professionnelles sont entrés en concurrence, il y a du tax shopping. Que peut on construire sur ces sables mouvants ?
Tout code du travail devient inadapté. Les acteurs de la course à la prospérité deviennent prêts à tout à l'encontre quelquefois de toute logique.
-Raisons technologiques
Nous sommes passés du fétichisme de la physique classique (l'horloge, monde comme horloge divine, univers comme engrenage) vers le fétichisme de la cybernétique. Le monde comme réseau, comme cerveau. Norbert Wiener, penseur du cybernétique, observe que le cerveau comme les nouvelles machines technologiques luttent contre l'entropie par système de rétroaction. Il agit selon son environnement et ce que lui renvoie celui-ci.
Que nous soyons horloge ou ordinateur, ces deux visions sont des boucles fictives. L'homme invente quelque chose et dit je suis comme cela. dans les deux cas, la société est une vaste machinerie régulable.

Dans le cas cybernétique, la division du travail est petit à petit enlevé mais on garde l'idée continuelle d'amélioration par calcul quantifié permanent de la performance. Tout est quantifié même dans le travail intellectuel, les managers sont jugés par le cours de la bourse, tout est remis à la temporalité du court terme, puis le travail et ensuite la politique. Lénine voyait le monde entier comme une usine Ford, désormais nous la voyons comme une entreprise moderne.
On le voit aussi dans la création européenne et le traité de stabilité. Si le pays s'écarte des bons indicateurs, il faut un pilote automatique qui remet la jauge au bon endroit, et donc une dépolitisation.
La vie devient une course mortelle avec une exigence totale de nous-mêmes. Ce n'est pas la vie de Chaplin dans les Temps Modernes mais il y a aussi un risque d'abrutissements et des risques physiques. Risques psycho-sociaux, perte de sens et exigence des neurones, performance ou humiliation....

Ces nouvelles organisations obligent à penser un nouvel ordre de protection. Quelles nouvelles dispositions sont nécessaires pour renouer avec un travail réellement humain, concilier performance des entreprises et de protection des travailleurs. Supiot invite enfin à la réalité de l'objet propre de l'entreprise. Objet dont les membres sont convaincus qu'il est bon, bien et beau où le rendement financier serait une condition mais pas un objectif et le temps un allié.