lundi 27 juin 2016

Deux Woody Allen méconnus - Deux conversions de femme

Coup sur coup, j'ai vu deux films de Woody Allen. Ils sont très rapprochés dans la filmographie du cinéaste et témoignent d'une profonde unité d'inspiration du cinéaste tout en montrant la  "schizophrénie" formelle de l'auteur.

Broadway Danny Rose 1984 (BDR)
Afficher l'image d'origineNew York, début 80,  dans un petit bouiboui,  des artistes de music-hall, se donnent quelques conseils et évoquent soudainement un agent d'artistes (Danny Rose joué par Woody Allen) fantasques, attachant et tirant le diable par la queue (comme eux tous). Cette évocation sera le sujet du film. L'histoire est folle en effet. Danny Rose s'occupe d'un chanteur de variété d'origine italienne qui eut un peu de succès 15 ans auparavant. Il tente de le remonter malgré ses crises, son romantisme, son alcoolisme et le fait qu'il soit ingérable. Un concert est organisé sous peu, c'est l'occasion pour lui de remonter la pente. Mais patatra, son amante l'a croisé avec sa femme et lui fait une scène. Nous allons voir tous les efforts de Danny pour ramener cette femme (Tina) au concert sachant que son absence provoquerait une crise d'alcoolisme de son poulain au pire moment. Cette recherche de cette blonde sexy, malheureuse et autoritaire se passera au milieu de quiproquo et de malentendus. Pris par son petit copain par des mafieux italiens où elle passe une journée festive, ils seront pourchassés, menacés, ligotés, mais tout finira bien puisque Tina assistera au concert et le chanteur fera un succès qui relancera sa carrière. Mais cette Tina préparait le changement d'agent pour Lou. Danny retourne avec ses artistes minables et fidèles. Tina vivra avec son chanteur avant de tenter de retourner avec Danny qui lui manque sans qu'elle ne puisse véritablement le comprendre. Danny pardonnera. Les artistes que nous avions vu au départ porte un toaste à Danny n'a t-il pas un sandwich à son nom dans ce restaurant...

Une autre femme 1988
Afficher l'image d'origineUne femme, la cinquantaine, professeur de philo, mariée, une belle-fille. Elle est heureuse de sa vie (C'est ce qu'elle nous raconte au départ). Elle écrit un nouveau livre et travaille dans un petit appartement jouxtant un psychologue. Elle entend soudain des bribes de conversation. En particulier d'une jeune femme enceinte. Elle tente d'étouffer le son mais n'y arrive plus. Cet événement coïncide avec (ou provoque) la dure réalisation de l'échec de sa vie, de ses mariages, de ses amours, de ses relations avec sa famille et ses amis. Elle était une autre femme qu'elle-même, elle avait bâti sa vie sur des mensonges. Elle part refaire sa vie, réparer ce qui l'est encore et pleurer avec miséricorde sur les moments qui auraient pu tout changer mais qui ne reviendront pas.

Forme : Music Hall vs Gymnopédies de Satie

BDR suit la trace du music Hall, de ses humoristes, des ses chanteurs minables, de ses succès faciles, de ses ratés, de ses ficelles, de ses petits bouibouis, de sa sociologie populaire, grassouillette, en paillette. Le noir et blanc du film surprend mais relève la noirceur d'un monde qui se voudrait, lui, plus coloré. Il y a aussi ses italiens haut en couleur, pseudo mafieux, rivalitaires, aimant la vendetta et les voyantes catholiques (pseudo Marthe Robin que Tina voit régulièrement). Tout est too much comme le music hall que revendique le film et que Woody Allen a côtoyé. Hommage et lucidité. Ce film est too much. L'histoire aussi est too much. La bêtise et la roublardise de notre chanteur est too much, les artistes ratées de Danny sont over ratés. Tina par sa méchanceté et son accoutrement est too much.

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Dans Une autre femme. Tout est subtil. Les gymnopédies de Satie rythme le film. Pour celui-ci, il a demandé le service du directeur de la photographie de Bergman. Nous retrouvons la pureté de l'image, les traits fins, les couleurs douces. Le beige domine allègrement les plans, il y a de la verdure et des photos vivantes de toutes beautés. Le beau et le subtil domine chaque plan. Il n'y a pas un plan, un dialogue en trop. Tout accompagne le sens du film. Nous sommes tenu en haleine par une intrigue très fine mais intense à chaque moment. Un rayon laser, là où BDR explosait dans tous les sens. Le milieu social intellectuel et bourgeois tranche aussi avec le premier film.

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Fond : Unité dans la vérité déchirante menant à la miséricorde
La forme diamétralement opposé des deux films n’empêche pas une unité fantastique basée sur une sagesse humaine et chrétienne en dernier lieu selon moi.
Dans BDR, si Danny Rose semble le héros du film par sa position dans l'histoire, la véritable héroïne est Tina. Le chanteur Lou est fou d'elle et lui envoie pratiquement tous les jours une rose blanche facturée au nom de Danny. Quand nous la rencontrons la première fois, nous voyons une blonde à forte poitrine détestable et rugissant comme un dragon parce qu' elle a vu son homme au bras de sa femme. Nous découvrons une Tina insupportable, irritable, irritante, superstitieuse, adepte du struggle for life, Pas de culpabilisation, il y a aucun intérêt à vivre comme un boy scout. Profites de tout (surtout de la faiblesse des autres tant que tu peux), bas toi, rien n'est donné, ne donne rien.
"Ma philosophie, c'est, cela ne dure pas longtemps, alors profites en, si tu veux quelque-chose, fonce. Fais pas attention aux autres et lâche les avant qu'ils te lâchent."
Il y aura ensuite la trahison de Tina et Lou. Mais nous verrons une Tina malheureuse, en pleine confusion qui reviendra auprès de Danny Rose chez qui elle a senti une vérité humaine. Il hésite, elle lui rappelle son dicton de son grand oncle "accepter, pardonner, aimer". La personne se transformant est bien Tina, mais sa transformation est due à Dany Rose. Le looser n'est pas celui que l'on croit, celui qui prend soin de l'humanité blessée, qui s'intéresse et soutient le malheureux, l'original, le décalé et qui a force se pose en décalage face à une société où il ne peut y avoir que succès, écrasement, force et rivalité. Son repas de Thanksgiving est le modèle de sa vie avec ses artistes ratés. Mais il est dans l'action de grâce des vies minuscules, des gens de la common decency. La conversion de Tina passe par cette contemplation.
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Dans "Une autre femme", tout est significatif, le son, l'image, les rencontres font de ce film un petit bijou de sens que l'on peut rapprocher de BDR malgré leurs grandes différences de forme. Nous rencontrons une femmes fière d'elle-même, ayant bâti une carrière universitaire philosophique brillante et d'auteur. Sa fierté est grande pourtant lors de l'écriture d'un livre, les paroles d'une femme en visite chez un psychologue s'insinuent dans le lieu où elle travaille. Elle veut fermer ses fissures, mais n'y arrive plus et écoute cette femme. Cette femme, parle de la déchirure en elle et de son malheur identitaire. Sans en rendre compte, la crise identitaire de cette femme (enceinte) sera la sienne. Elle fera un plongeon dans ses souvenirs par quelques rencontres, quelques relectures. Un travail de mémoire que certains pourraient appeler psychologique (et c'est probablement cette démarche que souhaite illustrer Allen...)Nous nous rendons compte avec elle que sa relation avec son père, son frère, sa belle-fille, son ancien mari, l'homme par qui elle est séduite, son ancienne meilleure amie sont faussées. Le film montre sa prise de conscience de ce que toute sa subjectivité ne lui avait pas permis de saisir sur son manque d'amour, ses manipulations, son égoïsme, comment elle avait partagé l'égoïsme de son père, été aveugle sur le malheur de sa mère, comment ses relations avec son ancienne meilleure amie était marquée par la rivalité. Non, elle n'a pas aimé et toute sa vie est un désastre qui lui saute aux yeux désormais, ses livres et sa carrière furent destructeur de vie, de relation et amour manqué. Il n'y a plus rien que l'espoir porteur de fécondité, pour des relations nouvelles sous le signe du pardon, de l'écoute et de l'acceptation. Pour une vie qui ne laisse plus place à une foire aux vanités inconscientes mais retrouver la réalité dans la relation aux plus proches.Afficher l'image d'origine

Peut-être que le lien entre les deux films parait plus évident. Je crois que nous pouvons voir cette sagesse dans d'autres films de Allen, l'observation de la vanité du monde et la foi que le monde appartient à ceux qui ne jouent pas ou plus le jeu de celui-ci, par prise de conscience ou même par faiblesse. 
Heureux les pauvres d'esprit, le royaume de Dieu est à eux.
Que ce soit par l'ôde au looser (Broadway Danny Rose) ou la conversion intérieure d'une femme faisant face à sa vanité. (Another women)




A noter aussi :
BDR
Barney Dunn, le malheur du monde
Tina et Danny s'échappant des liens par le contact des corps, une sexualité retrouvée ?
La course poursuite avec hélium
Les super héros
Les spectacles de Music Hall
La fête italienne, la rivalité anti monétaire, la madre et son fils sensible
décoratrice d'intérieur
la pseudo Marthe Robin italo americaine.

Another Woman
Bach et les souvenir de jeunesse
l'amour sur le parquet
La scène de l'ancienne femme
Pardonne moi si j'ai fait quelque chose de mal
La coiffure
La panthère
La scène du théâtre
La conversation avec son premier mari
La couleur beige et chaude du film
Le film est un  petit bijou esthétique et symbolique
La voix de la conscience que l'on arrive plus à bloquer par les coussins

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