lundi 26 juin 2017

Olivier Rey - Trinité, trois textes

Voici ci-dessous trois présentations et tentatives de résumés de trois textes d'Olivier Rey.

Je me passionne pour le travail actuel d’Olivier Rey (voir plusieurs textes ici) Son travail sur Illich et la mesure, l’auto-construction, il y a la une richesse folle et des textes, des livres me paraissant indispensables.

J’aimerais présenter trois textes de conférences ou articles parus ces dernières années. Cela fera une Trinité. Cela tombe bien car chacun parle plus ou moins explicitement de la Trinité (et évoque chacun le Christ) mais je peux aussi les distinguer chacun dans l’ordre par une attention plus spéciale pour le Père, le Fils et le St Esprit.

Rey montre (entre autre...) avec culture et talent en quoi le monde, les hommes et la culture discutent nécessairement avec les dogmes chrétiens.
Mythe et logique : Le Père ; Le rationalisme est perte de l’origine comme ce qui me fonde et m’engendre. Une société qui l’oublie, pourtant, perd tout jusqu’à son rationalisme

Hopper et l’annonciation suspendue : Le Fils ; Rey distingue chez Hopper par une analyse pointue une poursuite de la méditation de grands maitres de la peinture sur l’annonciation. Moment de l’incarnation et moment où le Christ rend possible un chemin de crête entre l’idolâtrie et l’iconoclasme, la possibilité de la juste représentation comme le Christ fut l’image de Dieu.

Pourquoi il a été dit que Dieu était mort. Le Saint Esprit : Une société d’individu est une contradiction dans les termes. Nous vivons une hérésie marquée par le meurtre du Père, venant elle-même d’une dislocation de la Trinité venant elle-même d’un oubli du St Esprit. Relation, médiation, celui par qui Vérité et Charité se rencontrent.



Mythe et logique

En commençant par un résumé de Homo Faber de Max Fritsch, Rey présente sa thèse, il y a risque d'involution, de déstabilisation existentielle quand les sociétés sapent ce qui la fonde. Les sociétés modernes s’enivrant de leur progrès, détruisent ce qui les portent.

Avant d’accéder à la science, il faut accéder à l’humanité. Chemin d’autant plus difficile quand on méconnaît les paroles des hommes qui avertissaient du danger.

Rey médite ensuite sur l'interdit de l'inceste vu comme universel par les scientifiques. Celui-ci n'est pas une pratique "eugéniste" mais un interdit participant à l'institutionnalisation des êtres humains par le refus du mélange des générations, principe de raison qui distingue cause et effet. On peut voir cet interdit comme un chemin de protection des bases de la raison commune.

Puis Rey défend Descartes que l'on juge trop souvent symbole de l'orgueil de la raison alors qu'il aperçoit derrière l'ego, la transcendance. Le sujet est assujetti à la causalité mais aussi instance où la causalité se découvre. L'origine se dévoile origine à partir de ce commencement qu'est la raison. Trop souvent l'homme commet "l'usteron prosteron" nommé par Husserl, prétendre déduire des idées de principes qui découlent de ces idées mêmes. C’est un refus de voir la vérité en solidarité avec le chemin qu'il a fallu pour la trouver. Orgueil du refus du créateur ou du procréateur qui sont toujours inconséquence de la pensée. C'est l’exemple de Don Juan congédiant tout sauf l’arithmétique et ne voit pas qu'il congédie tout ce qui permet d'arithmétiser.

Mythe et logos, au départ ce sont les deux manières de s'exprimer chez les grecs, le muthos venant de la personne d'autorité et le logos, la personne sans autorité devant argumenter et user de raison. Avec le logos l'enjeu est l'adéquation avec la réalité. Ce n'est pas le problème du mythe, car cette parole n'est pas séparée de ce dont elle parle. La vérité (aletheai) est dévoilement non par la langue de ce qui est en dehors d'elle, mais dévoilement dans la langue de ce qui est. Si la philosophie est au mythe ce que le réveil est au rêve, le mythe est aussi une recherche de sens qui ne revient pas sur elle-même. Nos mythes pris dans le premier degré de notre dépendance aux origines

Le mythe est malheureusement méprisé, seulement enfance du discours, symbole. C'est une erreur de perspective particulièrement visible au temps des lumières pour qui la raison vient en premier, les prêtres, les religions et les traditions n'étaient qu'entraves.... La conséquence est une perception de l'humanité qui renaît à chaque génération. Il n'y a plus de repère moral mais des moyens et des fins qui s'articulent en dehors de la raison. Il n'y a plus de lien entre sagesse et raison devenue simple outil applicatif que n'importe quel désir peut manier alors qu'il faut une mesure au désir.

Se prémunir à grands renforts d’esprit critique contre la tradition et la pensée mythique n’aboutit qu’à se livrer à des déterminations bien moins dignes de nous guider.

Les mythes expliquent l'origine par des éléments qui occultent leur propre origine, il montre aussi combien la lutte des affects a conduit vers l'ordre. L'homme peut entrer en scène après la découverte de la limite par le Dieu et la fin des conflits sans nom entre eux, par l'établissement sanglant de l'ordre. Le mythe est la figure d'un passé transcendantal, conscience des événements sur lequel elle s'est construite et qu'elle n'avait pas possibilité de nommer. Comment aller vers l'origine ?

Bible, mythe non mythiques

La Bible propose un nouveau cheminement, Le Dieu ordonnateur est posé à l'origine. La mythologie est court-circuité et renvoyé dans les affaires humaines et les conflits entre l'institution de l'alliance et la constante résurgence de ce qui s'y oppose. Les hommes cheminent et comprennent que leur commencement n'est pas l'origine, à l'origine était le logos qu'ils découvrent non comme point de départ mais ce vers quoi ils vont. C'est ce chemin que les traditions aident avec les richesses mythico mythologiques.

La rage rationnelle déplore ce qu'elle provoque, c'est à dire le retour à l'irrationalité, l'oubli de l’émergence de la rationalité. La transmission des mythes est essentielle à la pérennité de la raison.

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Hopper l'annonciation suspendue.


Après avoir souligné la sensation partagée face à un tableau de Hopper, Olivier Rey développe une thèse. Hopper est biberonné de tableaux classiques (Fra Angelico, Vermeer) dont il modifie des points de vue, des gestes, il les insère dans une banalité quotidienne et moderne.



Pourtant Rey nous invite à retrouver les modèles anciens et en particulier des tableaux rappelant l'annonciation et nous montre un Hopper métaphysique, homme de modernité se situant à une frontière. Est-ce que les grands récits religieux du Christianisme sont encore opérants dans un monde qui empêche l'accès au réel ou bien tout cela n'est-il pas une grande farce que notre monde banal et prosaïque ne pouvait qu'oublier ?

Signe d’une déréliction moderne ou découverte d'un au-delà métaphysique et invitation mystique ?

Par ce rapprochement, Rey nous aiguise le regard des symboles et des techniques, nous nous émerveillons de la recherche sur l'image de Marie et de l'incarnation et de sa représentation par les grands anciens et Hopper.

Hopper semble particulièrement questionné par l'annonciation, nous y lisons les images du temple, du passage de l'ancien au nouveau testament.

Hopper ne semblait pas très religieux, élevé dans un protestantisme puritain avec lequel il avait pris de la distance mais d'où il reconnaissait son origine, il s'attriste dans ses tableaux de la place perdu des églises dans certains de ses paysages peints. La peinture semble ce qui fut pour lui le moyen de se rapprocher de la réalité, loin de la sola scriptura ou des tentations païennes.

Hopper, comme peintre, fait face au 2nd commandement de la non-représentation par risque d’idolâtrie. En effet, la Chute a altéré l’image, le lien entre le visible et l’invisible a été non pas rompu mais faussé.

L’incarnation du Christ a modifié la situation. Le visible est redevenu capable de faire signe vers ce qu’il ne montre pas, de témoigner, de conduire vers lui… Le Christ révèle que les corps humains sont porteurs de l’Esprit et les visages spirituels.

Le Christ est venu lever le voile du péché et rétablir l’image authentique de Dieu dans l’humanité et la création. Telle est la doctrine chrétienne qui permet de comprendre, à la fois, l’interdit du Décalogue, et la possibilité de la représentation ouverte par l’Incarnation.

L’annonciation étant moment de l’incarnation, elle est l’origine de la représentation, elle reçoit sa possibilité et son sens. Et en même temps plus grand défi, c'est un échange de parole, consentement mais surtout elle est antinomique comme la forme de la révélation : Mystère insondable et révélation incessante. Et les deux membres de l’antinomie sont nécessaires pour l’idée de révélation : s’il n’y a pas de mystère et de profondeur, si l’objet de la révélation peut être connu et sondé jusqu’au fond par un acte unilatéral de la cognition, nous avons un savoir et non pas une révélation. L’inaccessibilité du mystère est corrélative à sa connaissance. Et comme dit Hadjadj, L’image doit toujours représenter ce qui fonde l’interdit de la représentation, le refus de toute idolâtrie.

L’école artistique moderne dit qu’il est impossible de relever le défi directement, cela va jusqu’à Rothko. Hopper explore une autre voie. Il pousse la tension entre figuralisme (c’est cela) et l’abstraction (ce n’est pas cela)

Marqué par théologie négative du protestantisme, Hopper joue cette tension et montre le risque de tomber dans le banal ou dans la disparition du figuratif (sun in a empty room, image du mariage, séparation des deux personnes représentés par les lumières mais venant tous les deux de la même lumière…). Il chercha, avec sérieux et beaucoup d’humour, la ligne de crête entre « c’est cela » et « ce n’est pas cela », le lieu de la rencontre entre Dieu et l’homme. Rencontre au-delà de toutes les idolâtries

Rey finit par l’analyse de « Gas station » référence à la visite d’Abraham par trois mystérieux personnaages. Genèse 18, Dieu comme Trinité… Clin d’œil encore à l’annonciation
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Pourquoi il a été dit que Dieu est mort.

St Esprit

Olivier Rey tente la généalogie du monde où nous sommes. Comment en sommes-nous venu à cette situation paradoxale d’une société moderne occidentale du culte de l’individu. Religion d’autant plus paradoxale qu’elle s’ignore elle-même et créatrice d’une société où ce qui rassemble est aussi ce qui sépare. Une société basée sur l’illusion de la préséance de l’individu par rapport à la société qui la fonde, basée sur cette phrase (paradoxalement chrétienne) de Nietzsche « Dieu est mort » et où derrière se cache la mort du père, de l’autorité perçue comme illégitime. Ne sommes-nous pas tous des adolescents perdus en lévitation ?

L’individu n’est-il pas pourtant une conquête chrétienne ? Rey relativise. Le christianisme n’est pas la religion de l’individu roi, mais de l’individu en relation avec Dieu et les autres dans le saint Esprit.

Nous vivons un temps de religion hérétique.

La thèse de Rey est que cette société est née de la désarticulation de la Trinité. Celle-ci fut délégitimée par un prétendu archaïsme, contraire à la raison.

Rey, en insistant sur l’humilité qu’il faut pour un tel sujet, propose une approche de ce mystère pour nous en faire sentir ce qu’il a d’essentiel et défendre sa thèse sur notre société hérétique.

Tout comme Dieu, la Trinité n’est pas déductible. N’est-ce pas ce qui fonde notre raison ? Mais approchons nous-y par cette raison même. Suivons Pascal, la raison doit reconnaitre ce qui la dépasse.

La Trinité en trop peu de mot : La Trinité a été pris en otage par les rationalistes, il fallait choisir la foi ou la raison.

Pourtant Ἐν ἀρχῇ ἦν ὁ λόγος. In principio erat verbum ? Simone Weil proposa comme traduction au mot logos : médiation. Si le Christ peut être à la fois médiation entre les hommes et Dieu, et Dieu lui-même, c’est que la médiation, elle-même est Dieu.

Et la médiation que le Christ établit entre les hommes et Dieu, c’est aussi la médiation divine entre le Père et le Fils, unis par le Saint Esprit.

La Trinité est la forme du Dieu d’amour, le mode de l’être-avec est contenu en lui. Aucun repli, Il est déjà amour de l’autre et médiation. L’amour de Dieu pour les hommes est expansion de l’amour de Dieu pour son fils, dans le Saint Esprit (et réciproquement, L’amour des hommes pour Dieu…) La Trinité constitue l’unité (comme les trois personnes font celle d’une langue) chacune ne serait rien, si les autres ne le faisaient tout.

Dislocation de la Trinité par l’estompement de l’Esprit Saint : Le Saint-Esprit est difficile à représenter (peut-on représenter une relation ?)

Rey en profite pour parcourir les disputations du filioque. Les personnes de la Trinité se différencient par leur relation. (Le père principe, Le fils procédant du Père, l’Esprit Saint procédant du père et du Fils)

L’estompement du Saint-Esprit provoque nécessairement la séparation du Père et du Fils ; c’est à terme la séparation de la vérité et de l’amour. La séparation entre Dieu horloger et le Christ aimant. Les contemporains choisissent un Christ sans Dieu, homme supérieur, modèle d’altruisme, révélateur de la vie de l’homme et de la mort de Dieu, il délivre de l’oppression du Dieu tout puissant, de l’absolu dont on ne saurait croire qu’il ait pu prendre chair en demeurant l’absolu. La vérité n’est plus universelle avec un Christ déterminé historiquement.

Blasphème dit Simone Weil, C’est oublier le « je suis la vérité ». La Trinité, nous aide à concevoir qu’il faut unir ce qui est différent. Connaitre et aimer : c’est la vérité, c’est le saint Esprit. Quand on l’oublie, connaissance et amour se disjoignent.

On imagine Dieu comme tout cerveau. Dieu est mort devient une bonne nouvelle.

Après, nous avons un rationalisme sec ou alors un sentimentalisme faux et même leur coexistence dévastatrice. Vérité sans pitié et pitié mensongère (vertus chrétiennes devenues folles).

Méditons toujours la phrase de Jésus, « qui m’a vu a vu le Père », comblons le fossé.

La mort de Dieu était le congédiement du Père trop lointain. Martelons-le : La vie terrestre de Jésus révèle le père. Le père ne donne pas seulement lui-même mais plus que lui dans le Fils. Il faut voir la souffrance du Père dans la mort du Fils et nos péchés et se réjouit du retour des égarés.

Prudence, contemplation et humilité face à ces mystères
Simone Weil, « les dogmes de la foi ne sont pas des choses à affirmer. Ce sont des choses à regarder à une certaine distance, avec attention, respect et amour."